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Compte-rendu - Giselle au Palais Garnier - La jeune garde s’essaye au chef d’œuvre du genre
C’est une production mythique que l’Opéra de Paris, comme en un rituel obligé, chorégraphie de Perrot et Coralli adaptée par Patrice Bart et Eugène Polyakov, décors et costumes de Benois, peintre des Ballets Russes. Elles en ont toutes rêvé, elles l’ont presque toute incarnée : Giselle, la douce et violente héroïne placée par Théophile Gautier dans le cadre magique des willis célébrées par Heine. La délicatesse française et la puissance brumeuse du rêve allemand soudées en un cruel dilemme : comment l’amour totalement pur peut-il pardonner et sauver un coupable, par-delà la loi de l’Au-delà. En somme, Giselle, petite paysanne trompée par un beau prince qui joue avec sa candeur, lui aussi d’ailleurs dans une totale inconscience juvénile, devient un peu la sœur d’Orphée : devenue une des willis, fantômes de jeunes femmes abandonnées comme elle et qui poursuivent jusqu’à la mort les hommes coupables, en véritables bacchantes romantiques, elle parvient à arracher son prince des griffes de ses compagnes éthérées mais aux haines bien vivantes.
Tout le rêve romantique est ici : la candeur virginale, la légèreté masculine, la femme rédemptrice en une lutte entre le temporel et le spirituel, qui finira par l’emporter, voilà en 1841, des ambitions exorbitantes pour un art qui jusqu’alors n’avait guère traité de sujets aussi délicats et complexes. La Sylphide, en 1832, avait ouvert la voie avec ses chaussons et ses ailes. Giselle installe le drame. Et surtout, la danseuse, au premier acte, meurt de danser, ce qui lui est interdit puisqu’elle est cardiaque. Un mythe pour toute ballerine classique. Au premier acte, la vie, la fraîcheur, l’amour joyeux, puis le désespoir qui conduit à la folie, au deuxième le tutu blanc déployée comme un linceul, la tombe, l’arabesque profilée au lieu de la pirouette et du saut pétillants baissés sur un sol qui n’existe plus.
Cette fois, on n’aurait pas pu glisser la queue d’une petite souris ou même d’un rat de l’opéra dans la salle tant le public se pressait pour la prise de rôle des deux jeunes étoiles les plus en vue de l’heure : Dorothée Gilbert, nommée en 2007 et Mathias Heymann, nommé lui au printemps dernier, le même soir qu’Isabelle Ciaravola. Un moment impatiemment attendu car la ballerine, surtout, doit ici jouer de beaucoup de cordes et s’inscrire dans une tradition royale. Car Giselle est plus qu’un beau rôle, elle est le sillage laissé depuis 1841 et Carlotta Grisi, la belle aux yeux de violette aimée de Gautier, par les plus grandes ballerines du monde : à l’Opéra de Paris ce furent les traces inoubliables de Chauviré, Pontois, Loudières et Guérin parmi tant d’autres magnifiques interprètes.
Si tous, lors de cette représentation, ont salué les performances techniques, voire gymniques des deux jeunes gens, il faut bien reconnaître que la larme perlait à peu de paupières : d’abord, parce qu’il s’agit d’un couple mal assorti, et que l’alchimie entre eux ne joue pas : Gilbert, dure, impérieuse, le geste porté par une énergie très moderne, presque masculine même si la ballerine est d’une grande beauté formelle, Heymann fluide, comme adolescent, peu en prise avec cette partenaire si cadrée. Une Claire Marie Osta lui eût sans doute mieux convenu. Pourtant, la déception n’est pas venue que de ce décalage, mais surtout du manque de maturité de chacun : tendresse, innocence, gaminerie, voilà une gamme qui ne convient pas, ou pas encore, à la superbe technicienne qu’est Dorothée Gilbert, dont par ailleurs les lignes épurées, les arabesques miraculeuses, les équilibres d’airain ont provoqué l’admiration dans l’acte blanc.
Quant à Heymann, dont le parcours d’étoile est naissant - il n’a que 22 ans-, son rôle, moins dessiné, implique au premier acte pour compenser le manque de chorégraphie, une présence très forte que le jeune artiste n’a pas encore acquise. Au deuxième acte, en revanche, son aptitude à voler littéralement, avec une fluidité qu’on ne connaissait guère à l’Opéra a ébloui, faute d’attendrir. Finalement, avec une déception à la hauteur du pari, puisqu’il s’agit là de deux danseurs d’exception, on se dit qu’à la scène, point ne faut être trop jeune pour incarner la jeunesse. Et comment être ému lorsqu’une baguette aussi brutale que celle du flamand Koen Kessels mène le jeu !
Jacqueline Thuilleux
Adam : Giselle – Paris, Palais Garnier, le 8 octobre 2009
Programme détaillé de l’Opéra Garnier
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Photo : DR
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