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Compte-rendu : The Fairy Queen à la Cité de la musique - Un Purcell pour le temps présent


Chargés de composer la musique de scène pour une adaptation du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, dictée par la célébration d'un anniversaire de mariage royal à la cour de Londres, Henry Purcell et son librettiste (probablement Thomas Betterton) ont écrit sous le titre de The Fairy Queen une suite de masques ou semi-opéras tour à tour éclatants, délicats, colorés et se suffisant à eux-mêmes hors de tout contexte scénique. Il s'agit là sans doute du sommet de la production lyrique de l'Orphée britannique: une musique d'espace toute bruissante des rumeurs du monde, à l'image du chef-d'oeuvre shakespearien qu'elle avait pris pour modèle (pour l'histoire, la première eut lieu au Théâtre de Dorset Garden, à Londres, le 2 mai 1692).

Orfèvres du concert à l'ancienne, Philip Pickett et son New London Consort semblaient a priori disposer de tous les atouts pour porter à des sommets de dynamisme, d'humour et de poésie ce joyau absolu du semi-opéra anglais. Et pourtant, le pari n'a été tenu qu'à moitié par nos interprètes, sans doute attentifs à  l'énergie à la fois foisonnante et anarchique de l'oeuvre, ce côté motorique où le fascinant Sir Henry excelle, mais aussi trop prompts peut-être à instrumentaliser les sentiments et les affects, aux lieu et place de l'émotion, remplacée ici par un activisme qui se fait souvent miroir des effets à la mode. Ainsi la transposition de l'action et des personnages en images de modernité nous vaut un flot d'effets déjà vus cent fois (le tableau liminaire, avec ses chanteurs-touristes qui rêvent d'un départ vers une Arcadie actuelle, via les services charters d'un tour operator !).

A ces jeux, la machine ludique s'enraye parfois et l'ennui menace, à l'inverse du résultat souhaité par le dramaturge et scénographe mexicain Mauricio Garcia Lozano, pris en flagrant délit de surenchère, dans son désir de faire sauter les clichés de la tradition et les conventions d'interprétation pour mieux révéler l'essence de l'ouvrage. Et l'embarquement attendu pour l'Arcadie s'avère illusoire, avant tout prétexte à un divertissement certes bigarré de bateleurs et montreurs de foire, avec Hercule bonasse et hyper-expressif (rôle tenu par l'étonnant Boldo Janchivdorj, formé au cirque en Mongolie), acrobates facétieux et jongleurs minimalistes, à défaut des bonnes manières du passé.

Pour autant, tout n'est pas perdu pour les baroqueux dans ce melting pot structuré à la diable. Et d'abord, l'instrumentarium du New London Consort qui, sous la direction avisée de Pickett, assume à notre satisfaction l'essentiel (quelques approximations, toutefois, à dénoncer aux vents et aux cordes, mais le continuo s'avère de bout en bout inattaquable). Et il y a les bonnes surprises du plateau de solistes où quelques individualités rares– le soprano de Joanne Lunn, métamorphosée en femme d'affaires tendance, les ténors Ed Lyon (le doux rêveur) et Joseph Cornwell (le motard), etc... - témoignent de la bonne santé du chant insulaire. Avec, pour les amateurs d'utopie, quelque peu frustrés par ailleurs, le songe émané d'une Nuit magique et de ses suivants, le Mystère et le Secret, qui ramenait les plus anciens d'entre nous au temps fortuné d'Alfred Deller, l'ineffable.

Roger Tellart

Paris, Cité de la musique, le 15 février 2011

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Photo : DR

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