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Chantier Fantasio / Interview de Thomas Jolly (Episode n° 2) – "Je n'impose pas, je prends la matière existante "

Thomas Jolly (photo) et une partie de son équipe étaient tous réunis le 4 mars pour un nouveau rendez-vous d'étape public (1), à plusieurs mois de la première de ce Fantasio d'Offenbach qui marquera la réouverture de l'Opéra-Comique début 2017. Quelques jours après ce Chantier n°2, le sémillant metteur en scène, en tournée avec un Richard III débordant d'énergie, donné à l'Odéon pendant le mois de janvier, a répondu à nos questions - avant de filer à la première de Phèdre(s) mise en scène par Krzysztof Warlikowski !
 
Entre les répétitions, les représentations de Richard III à l’Odéon et les activités liées à votre compagnie(2), quelle place a occupé l’élaboration du projet Fantasio dans votre emploi du temps, depuis notre première rencontre?
 
Thomas JOLLY : C'était il y a deux mois déjà ! Et bien nous sortons d'une grosse phase de travail sur la scénographie réalisée par Thibaut Fack avec toute l'équipe, mes collaborateurs en charge des lumières, des costumes et de la dramaturgie. Difficile de quantifier ces matinées, mais ces nombreux aller-retours sont très importants car ils nous soudent et produisent une cohésion de groupe. En parallèle, comme je suis contraint de voyager très fréquemment et de prendre le train en raison des tournées auxquelles je participe, j'écoute en permanence Fantasio sur mon Ipod (la version parue chez Opera Rara dirigée par Mark Elder) et me laisse aller à l'imagination : le train est idéal pour cela, car ce moyen de transport conduit à la contemplation, de ce fait les images me viennent assez facilement. Je travaille également à la dramaturgie et au rééquilibrage du livret dans lequel nous avons prévu d'insérer davantage de textes écrits par Alfred de Musset, que de Paul, pour proposer une nouvelle adaptation sans toucher à la musique ; les passages parlés seront donc « redensifiés » au détriment de Paul et j'en suis ravi. Y aura-t-il trop de texte parlé, ceci est difficile à dire pour le moment. Les « Vendredis de Jacques », ces salons comme il y en avait autrefois, du temps d'Offenbach, vont servir de laboratoire propice pour tester ce genre de chose ; après il va falloir que ces passages soient pris en charge par les chanteurs qui pourront nous dire s'il y en a trop ou pas. Nous savons qu'ils ont envie de parler, mais jusqu'où en auront-ils la possibilité, d'autant que la langue d'Alfred n'est pas celle de Paul. L'enregistrement que j'écoute dure environ 2h20, ce qui nous laisse de la marge.

Thomas Jolly © Fabrice Labit
 
Malgré toutes ces activités accaparantes, vos échanges avec les différents acteurs du projet, les discussions que vous avez eues ont dû nourrir votre réflexion. Comment se profile votre mise en scène, quel spectacle pensez-vous réaliser et voyez-vous déjà certaines scènes s’ébaucher ?
 
T.J. : Oui ça y est, je le vois et je dois avouer que j'ai éprouvé cette sensation dès la première écoute de Fantasio. J'ai tout de suite vu du gris et du jaune, sans doute la lumière et la vie. Je dis souvent que je ne suis pas un metteur en scène à idée, car je n'impose pas, je prends la matière existante et cherche à y répondre poétiquement et scéniquement, avec le soutien de mon scénographe qui me permet de trouver les astuces et les réponses que l'auteur attend de nous ; tout cela vient de la maquette qui est construite pour répondre scéniquement aux exigences de l'œuvre. Il faut trouver la machine théâtrale pour faire jouer les chanteurs et mettre en valeur ce que veut dire l'auteur. Par exemple au tout début de Fantasio il y a une scène où un des étudiants dit : « Asseyons-nous à cette table ». Faut-il l'avoir ou pas ?, car les didascalies disent beaucoup de choses et je ne souhaite pas tout respecter à la lettre, comme au XIXème, mais plutôt partir d'un décor mouvant avec des éléments qui arrivent aux personnages et suivent leurs actions ; il y aura d'ailleurs un système de rails en écho au contexte de l'époque (la photo, le train, la botanique...) et de cette prodigieuse avancée technologique.
 
Dans une œuvre lyrique on connaît l’importance de la relation entre la fosse et le plateau. Qu’attendez-vous de votre travail avec Laurent Campellone et que savez-vous de sa préparation ?
 
T.J. : Nous nous sommes vus à deux reprises et avons débattu sur les questions liées à la scénographie, car j'attendais beaucoup de son expertise et j'ai été très heureux de constater qu'il était satisfait de notre proposition, car s'il ne l'avait pas validée nous l'aurions modifiée. J'avais besoin de lui, de son accord sur le choix du décor, des matériaux choisis pour être certain que l'acoustique serait bonne ; ceci étant fait, reste aujourd'hui au bureau d'études de donner son accord sur la faisabilité technique et budgétaire, car cette production partira en tournée, aura une vie après l'Opéra-Comique et nous devons nous assurer que tout ira bien. La maquette définitive devrait être livrée en mai puis partira en construction. Nous devons également travailler musicalement et j'avoue que j'ai très envie d'entrer dans la partition. Grâce aux « Vendredis de Jacques » j'ai pu rencontrer certains interprètes avec lesquels nous avons travaillé avec grand plaisir. Ces rendez-vous se sont révélés réjouissants et je me délecte à l'idée d'entamer la phase qui consiste à réfléchir sur les enjeux de la pensée par la musique. Où est la pensée dans les notes ? ; je veux travailler cela avec Laurent Campellone.
 

Bruno Bayeux grimé en Offenbach lors du "Vendredi de Jacques" du 4 mars © DR
 
Lors du second rendez-vous public du 4 mars dernier, l’équipe artistique a eu l’idée de recréer un salon comme celui qu’Offenbach tenait en son temps, chaque vendredi : on y a chanté, discuté et donné lecture des critiques de Fantasio. Justement, comment a été accueilli cet ouvrage au lendemain de sa création en janvier 1872 ?
 
T.J. : Très mal, par des critiques très méchantes ! Vous savez que nous sommes entourés d’étudiants de l'EHESS qui se sont d'ailleurs autoproclamés les « Fantasept » et ont trouvé la maquette du décor original de Fantasio, qui est très loin de la nôtre (rires), et des articles publiés au lendemain de la première, du Figaro entre autres, qu'ils ont lu en effet le 4 mars : ceux-ci étaient plutôt assassins, avec de bons mots, certes, mais souvent une certaine cruauté gratuite que l'on peut comprendre en creusant du côté du contexte historique – la guerre franco-prussienne – mais aussi la réaction face à un auteur qui proposait une œuvre plus intime dans laquelle on ne l'attendait pas. J'ai également appris que les répétitions avaient été houleuses et que l'orchestre avait saboté le travail, ce qui peut expliquer certaines choses. On peut dire que Fantasio est arrivé au mauvais moment, mais que le contexte a également généré sa création.
 
N’est-il pas finalement aussi périlleux et excitant pour vous de concevoir un spectacle à partir d’une œuvre que personne n’a vraiment encore entendue dans son intégralité, que de travailler comme viennent de le faire Stanislas Nordey et sa troupe au TNS, sur un texte en train de s’écrire (et d’être traduit de l’allemand en français) par l’auteur Falk Richter, dont le public ne sait rien excepté le titre : Je suis Fassbinder ?
 
T.J. : Ce qui est différent avec Nordey, dont j'ai vu le spectacle, c'est que l'œuvre à laquelle nous nous sommes attaqué est bel et bien là et que nous ne sommes pas face à une création en friche, qu'il doit être passionnant de pouvoir changer jusqu'au dernier moment.
Le Fantasio que Jean-Christophe Keck a remis en ordre n'est malgré tout pas comparable, même s'il est allé loin pour tenter de retrouver l'original ; pour autant la sensation d'être tout de même face à une page blanche me plaît énormément, et je considère ce paramètre comme une chance qui me permet d'être libre dans ce que j'appelle le « par rapport à », dans lequel je me retrouve souvent et qui a tendance à me polluer.
C'est pour cette raison que je vais où mon cœur m'emporte, vers des œuvres moins souvent montées qui me mettent devant un champ d'invention plus large et où je suis libre sans avoir à me construire par rapport à la mise en scène d'un autre. Voir un spectacle « par rapport à » m'ennuie et ne m'intéresse pas. Je suis allé vers Henri VI, vers Guitry mais avec Toâ, des pièces neuves, à défricher, qui créent une surprise, qui sont une découverte pour le spectateur. Bien sûr je ne minimise pas la responsabilité qui m'incombe, mais cela va avec ma définition de la mise en scène qui est de ne pas chercher à imposer un point de vue, mais à mettre en 3D ce que l'auteur a souhaité, avec l'aide de toute mon équipe.
 
Propos recueillis par François Lesueur, le 18 mars 2016 

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(1) Lire l’ITV de Thomas Jolly réalisée le 14 décembre 2015, dans la foulée du Chantier n° 1 : 
www.concertclassic.com/article/chantier-fantasio-interview-de-thomas-jolly-episode-ndeg-1-premiere-rencontre-avec

(2) La Piccola Familia : www.lapiccolafamilia.fr/thomas-jolly

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