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Célia Oneto Bensaid et Arcadi Volodos au Festival de la Roque d’Anthéron 2019 – Touches américaines et toucher de l’extrême – Compte-rendu

Jeunes pousses et célébrités se croisent, se rencontrent et partagent depuis une quinzaine de jours maintenant, les nombreuses scènes du Festival International de Piano de la Roque d’Anthéron. Le lieu emblématique du Festival reste celui où il est né, scène sur l’eau, à ciel ouvert, au cœur du parc du parc du Château de Florans, où valsent à tour de rôle les sept Steinway et deux Bechstein laissés au choix des interprètes. Les cigales infatigables, les immenses platanes et séquoias centenaires, le ciel bleu et limpide, les lumières dorées que renvoient les pierres provençales, l’enivrant mistral, le piano que l’on entend répéter dès le matin … C’est donc vrai. La subjuguante beauté de l’endroit, la poésie soufflée par les artistes invités donnent au Festival toute sa dimension – le découvrir, c’est avoir envie d’y revenir. Comme d’ailleurs les interprètes qui s’y produisent depuis bientôt quatre décennies, comme le public, les professionnels, les partenaires, les bénévoles et les politiques - car il y en avait ce 2 août, casquette lâchée en coulisses, pour un moment volé.
 

Célia Oneto Bensaid © Renaud Alouche

Célia Oneto Bensaid lance audacieusement ses « American Touches », programme américain (Gershwin/Bernstein) d’un premier enregistrement remarqué sorti l’automne dernier (chez Soupir).
La jeune femme n’est pas du genre à se laisser démonter. Elle aime la scène et cela se voit jusque dans ses interventions, debout micro en main, entre chaque morceau, à côté de son Bechstein (exercice excessivement dangereux dont elle se sort plutôt très bien).
La voici, resituant Candide de Bernstein (bide total à la création, hormis l’ouverture, ici dans l'arrangement de la pianiste), présentant Un Américain à Paris de Gershwin, racontant West Side Story, du succès de la comédie musicale jusqu’à la transcription pour piano de la Suite de danses.
Si les transcriptions forcent l’admiration – et Célia Oneto Bensaid y met visiblement beaucoup d’elle-même : au-delà des mains dansantes sur le clavier, elle donne son coup de sifflet, crie « mambo », claque des doigts, etc. –, ce n’est paradoxalement pas là qu’on la préfère. La percussivité des marteaux du piano ne suffit sans doute pas à l’énergie rythmique, aux brillantes couleurs orchestrales et à la clarté exigées par cette musique.
Les Trois Préludes de Gershwin (à l’origine, il devait y en avoir 24, en hommage à Chopin, mais le compositeur américain s’est arrêté au bout de trois, comme l’a rappelé la pianiste, non sans humour) sont en revanche des miniatures sensibles qu’elle a magnifiquement défendues, tout comme Touches de Bernstein, qui a inspiré le titre de son album et de son concert. Cette pièce tardive et méconnue mérite le détour. Composée pour un prestigieux concours, elle détourne les défis techniques attendus au profit de la quête d’un son ombrageux et d’un ton torturé. L’interprète y fait merveille.
Chaleureusement ovationnée, Célia Oneto Bensaid offre trois bis ; le premier est une déclaration à son collègue Fazil Say avec sa Marche Turque revisitée, pied de nez à la fin tragique de West Side Story. Plus classique, la Barque sur l’océan de Ravel ondoie sur fond de cigales à l’heure de pointe, avant qu’une mazurka de Chopin n’apporte la touche finale.
 

Arcadi Volodos © Renaud Alouche
 
Le récital du soir arrive bien vite. Le Bechstein a laissé la place à un Steinway, le tabouret a disparu au profit d’une chaise pliante, assez basse pour accueillir l’imposante carrure d’Arcadi Volodos (photo).
Car pour en imposer, il en impose, et ce dès les premières notes du jeune Schubert (Sonate D. 157) qui ouvre le récital. Modèle de clarté et de beauté sonore. Les cigales s’éteignent quand arrive la nuit des Six Moments musicaux D. 780, leur alchimie subtile d’infinie détresse, de clair-obscur et de silence. Comment ne pas succomber au toucher rond, moelleux, ultra-sensible, ultra-sensuel où le pianissimo se métamorphose en pianississimo jusqu’à l’évanouissement. Vertigineux.
 
L’entracte n’aura sans doute suffi à personne pour se remettre en selle avec Rachmaninov (quelques préludes et d’autres pièces) dont on attendait  – trop ? – un son radicalement différent, une bourrasque, une tempête. On gagne à la place un son certes nourri, la sensation d’un vibrato qui tantôt s’élargit et dans lequel on est jeté comme dans le vide, tantôt se resserre jusqu’à son dernier souffle. Fil ténu et tendu au bout d’une force tranquille et immuable.
On retrouve l’intensité, l’extravagance et la folie de Scriabine avec Vers la flamme qui clôt le programme, après la Mazurka op. 25 n° 2, Caresse dansée, Enigme, Guirlandes et Flammes sombres qui exigent beaucoup de l’auditeur. Fatigue pour un quart du public, état d’hypnose avancée pour les trois-quarts restants.
Triomphe, et pas moins de cinq bis à une heure pourtant avancée de la nuit : deux menuets de Schubert, dont le premier D. 600 est hautement recommandable, un intermezzo de Brahms, la Sicilienne Vivaldi/Bach, et un prélude de Scriabine en guise de postlude.
 
Gaëlle Le Dantec

39e Festival international de piano de la Roque d’Anthéron, Parc du Château de Florans, 2 août ; jusqu’au 18 août 2019 // www.festival-piano.com
 
Photo © Renaud Alouche
 

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