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Carmen à l’Opéra de Tours - L’élégance avant toute chose – Compte-rendu

Représenter Carmen constitue toujours un enjeu. De cet opéra populaire, toute nouvelle production incite à la comparaison et participe de notre inconscient. Cette reprise à l’Opéra de Tours d’un spectacle présenté en 2008 garde toute sa vérité loin de l’exotisme de pacotille.
 
Sans oublier la couleur locale et le dépaysement, la mise en scène de Gilles Bouillon (dans des décors sobres de Nathalie Holt constitués de murs peints, de structures métalliques, de rideaux rouges, de lampions), crée une atmosphère propice à l’exacerbation des destins individuels. Homme de théâtre, Gilles Bouillon insiste davantage sur l’aspect psychologique des personnages et l’intensité de leur relation, quitte à faire de la mort de Carmen un moment décalé et d’une lenteur insoutenable avant que Don José n’égorge enfin sa maîtresse au lieu de la poignarder.
 
L’héroïne incarnée par la mezzo britannique Andrea Hill (qui a étudié à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris) fait preuve de sobriété tout en occupant l’espace avec autorité. Si elle bannit tous les excès, sa pise de rôle n’en est pas moins convaincante et la séduction de cette voix souple, veloutée, opère sans caractérisation excessive à l’image d’un  « Sur les remparts de Séville » délicatement chaloupé. Florian Laconi, Don José généreux engagé dans l’action comme si sa vie en dépendait, ne lésine pas sur la puissance, avec de belle qualités d'intonation et de diction.
Guère à son aise au premier acte, Vaninna Santoni prend peu à peu ses marques et réussit à s’imposer en Micaëla. Grande voix, elle n’est toutefois pas la jeune fille fragile à la sensibilité à fleur de peau que l’on attend. Seul point noir d’un plateau homogène, l’Escamillo sans panache et surjoué de Sébastien Soulès dont la voix caverneuse ne rend pas justice à la luminosité éclatante du personnate. A noter la qualité des rôles secondaires, masculins (le Dancaïre de Ronan Nédélec, le Moralès de Régis Mengus, le Remendado de Vincent Ordonneau d’une fantaisie débridée) ou féminins (superbe scène du « Jeu de cartes » incantatoire et mystérieux de Chloé Chaume en Frasquita ou d’Albane Carrère en Mercédès).
 
L’équilibre entre l’orchestre et le plateau doit beaucoup à la direction souple de Jean-Yves Ossonce qui anime sans cesse son Orchestre Symphonique Région Centre-Tours par des impulsions justes et un implacable sens rythmique. La progression dramatique, savamment dosée, atteint par paliers le paroxysme final et rappelle un art supérieur hérité de l’école française de direction (Jean Fournet, Pierre Dervaux…) pour qui le respect du texte se conjugue avec poésie et lyrisme contenu. Les musiciens font corps avec cette vision claire : la petite harmonie se distingue tout spécialement (la flûte d’Hélène Dusserre au début de l’acte III, la clarinette d’Hugues Soualhat …). Toute la représentation respire sans cesse, inscrivant cette Carmen tourangeaute dans le style et l’esprit de l’opéra français.
 
 
Michel Le Naour
 
Bizet : Carmen - Tours, Grand Théâtre, 21 janvier 2014

Photo © François Berthon

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