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Bruno Philippe – Ardente jeunesse

En mars 2012, Jérôme Pernoo nous annonçait les débuts au Festival de Pâques de Deauville de Bruno Philippe : « un extraordinaire jeune violoncelliste », s’enthousiasmait le professeur à propos de son élève. Légitimement : quelques semaines plus tard, on a pu mesurer le talent d’un artiste que l’on suit attentivement depuis. Concerts, disques ; les occasions ont été nombreuses de saluer l’intelligence musicale et l’ardente jeunesse de son archet.
 
Bruno Philippe (3e en partant de la g.) et l'Ensemble Initium au Festival de Pâques de Deauville en 2012 © Claude Doaré

Après une année 2018 marquée par la Révélation Soliste Instrumental aux Victoires de la Musique, 2019 aura été très riche côté enregistrements pour Bruno Philippe (né en 1993), très russe aussi avec deux parutions chez Harmonia Mundi. L’une, il y quelques mois, qui l’associe au pianiste Jérôme Ducros dans un magnifique programme Miaskovski-Rachmaninov ; l’autre, récente, avec l’Orchestre Symphonique de la Radio de Francfort et Christoph Eschenbach pour une remarquable version de la redoutable Symphonie concertante op. 125 de Prokofiev, que complète une non moins réussie Sonate pour violoncelle et piano du même auteur avec Tanguy de Williencourt.
La musique de chambre, le violoncelliste a appris à la cultiver au CNSMD de Paris, à partir de 2009, auprès de Jérôme Pernoo, un professeur qui l’a mis en contact avec un vaste répertoire et lui a « donné le goût de la scène », mais aussi avec Claire Désert, « professeur de musique de chambre avec laquelle j’ai fait mes premières armes sur le répertoire de sonate, se souvient B. Philippe. »

On n’a jamais fini d’apprendre : au sortir du Conservatoire en 2014, le jeune homme, 21 ans tout juste, décide de se perfectionner auprès de grands maîtres. Parmi les différents aînés qu’il a croisé, deux noms viennent immédiatement sur ses lèvres : Frans Helmerson, auprès duquel il travaillera de 2014 à 2018 en Allemagne, dans le cadre de la prestigieuse Kronberg Academy, et Clemens Hagen, le violoncelliste du célèbre Quatuor – « mon dernier grand maître, une très belle rencontre ; elle a été l’occasion d’une réflexion sur le rôle du violoncelle dans la musique de chambre. J’ai beaucoup discuté avec lui et ça m’a ouvert l’esprit sur l’idée que l’on peut se faire d’une carrière de violoncelliste. »

© Philippe Matsas

Précieuse transmission entre un jeune interprète et ses aînés ... Même si les écarts d’âge étaient bien moins importants, un phénomène comparable s’est produit à Deauville (Festival de Pâques et Août musical). Bruno Philippe est conscient et reconnaissant de la confiance dont on lui a témoigné là-bas alors qu’il était encore étudiant et de tout ce qu’il en a retiré. « Tout le répertoire que je pratique, je l’ai pour pour la plus grande part monté à Deauville, note-t-il. C’est incroyablement formateur que de se retrouver –  à un âge auquel, au Conservatoire, on travaille ses sonates et ses concertos – avec des gens de sa génération mais d’autres aussi, un peu plus âgés et avancés. On les voit travailler, on est au contact de musiciens qui font ce que l’on voudrait faire plus tard ; on regarde comme ils fonctionnent, comment ils s’organisent pour répéter. C’est une expérience irremplaçable ! »
 

Tanguy de Williencourt © Christophe Gremiot

Musique de chambre ? Un partenaire pianiste se détache parmi les collaborations de B. Philippe : Tanguy de Williencourt. Leur rencontre remonte à il y a dix ans exactement, au Conservatoire. «Nous sommes dirigés vers la classe de Claire Désert lorsque nous avons décidé de faire de la musique ensemble, se souvient le violoncelliste. Tanguy est l’une de mes plus belles rencontres musicales et humaines - et mon meilleur ami ! Quel bonheur de partager la musique avec lui ! Au moment de notre rencontre, j’ai été frappé par ses capacités techniques immenses, bien sûr, mais surtout par son immense intérêt pour la musique plus que pour le piano. Il était avide de monter des œuvres de musique de chambre, ce qui est assez rare au Conservatoire de la part des pianistes, déjà bien occupés à monter le répertoire – tellement vaste ! – de leur instrument. C’est une chance assez folle que de rencontrer un pianiste tel que Tanguy ; nous avons le même affect par rapport au répertoire et tendance, depuis l’époque de nos études, à nous tourner en priorité vers des choses que nous aimons plus que celles qu’on nous conseille de jouer. Nous avons le désir de servir la musique, le compositeur en fonction de nos envies musicales du moment. »
 

Avec Tanguy de Williencourt pendant l'enregistrement de la Sonate "A Kreutzer" © Aurianne Skybyk
Beethoven/Czerny : Sonate "A Kreutzer" (1er mvt, ext.) - Harmonia Mundi

La musique germanique a scellé et vu grandir le duo Philippe-De Williencourt. Comme beaucoup de duos piano et violoncelle, les deux interprètes ont commencé par la Sonate n° 1 de Brahms, vite suivie par la Seconde, et toutes deux enregistrées dès 2014, complétées par les Fantasiestücke op. 73 de Schumann (1). Belle entrée en matière, que Concertclassic avait saluée d’un Disque de la Semaine ! La musique germanique les a ensuite dans un étonnant programme (Harmonia Mundi/harmonia nova#5) constitué de la fameuse Sonate « Arpeggione » de Schubert et de la Sonate « A Kreutzer » de Beethoven ... dans l’arrangement pour violoncelle et piano de Carl Czerny ! Une découverte aussi singulière que convaincante tant les interprètes on su la défendre avec passion et équilibre. Dernière illustration en date de leur entente, la Sonate op. 119 de Prokofiev, à leur répertoire depuis quelques années déjà, a opportunément pris place à côté de la Symphonie concertante, autre chef-d’œuvre tardif du compositeur, on va y revenir.
 

Bruno Philippe et Jérôme Ducros © Philippe Matsas
 
Rachmaninov : Sonate pour violoncelle et piano op. 19 (4e mvt, ext.) — Harmonia Mundi

Achevée sous le signe de la musique russe, l’année 2019 avait commencé de la même manière pour Bruno Philippe avec un très beau disque Miaskovski-Rachmaninov, en compagnie de Jérôme Ducros. Depuis deux ans environ, le violoncelliste et ce dernier ont plusieurs fois eu l’occasion de se produire en concert et B. Philippe a ainsi pu mesurer la connaissance intime que J. Ducros a de la Sonate op. 19 de Rachmaninov – l’opus chambriste que le pianiste a sans doute le plus joué en concert. « J’avais envie de bénéficier de son expérience pour enregistrer cette œuvre, explique B. Philippe. » Le résultat s’avère admirable d’intensité et de poésie, et d’autant plus séduisant que la rare Sonate n°1 de Miaskovski complète le disque. C’est par hasard, lors d’un trajet en taxi, que Bruno Philippe a un jour découvert cette œuvre à la radio. « Je m’en suis souvenu au moment où le projet de disque russe s’est enclenché. Le choix de cette partition à côté de celle de Rachmaninov s’est alors imposé comme une évidence et je suis vraiment heureux d’avoir pu l’enregistrer : c’est de la sublime musique ! ». On ne le contredira pas.

Miaskovski : Sonate pour violoncelle et piano n° 1 op. 17 (2e mvt, ext.) — Harmonia Mundi

Après cette réussite, le violoncelliste se signale à nouveau en cette fin d’année pour son premier enregistrement avec orchestre, ce dans l’une des plus exigeantes compositions du répertoire : la Symphonie concertante op. 125 de Prokofiev. « J’ai découvert cette partition grâce à l’enregistrement de Rostropovitch, confie B. Philippe, et elle me fascine depuis très longtemps. Une œuvre immense, puissante, démentiellement difficile pour le soliste, avec une orchestration géniale. J’espérais pouvoir un jour la jouer : vous imaginez mon bonheur de l’avoir enregistrée ; je suis très honoré d’avoir pu réaliser ce projet. »
 

Christoph Eschenbach © Theobald

Il est le fruit de la complicité musicale que Bruno Philippe a nouée depuis quelques années avec Christophe Eschenbach. Leur rencontre s’est produite lors d’une masterclass du chef à la Kronberg Academy (Tanguy de Williencourt accompagnait d’ailleurs Bruno Philippe en cette occasion) et, de fil en aiguille, il a proposé au Français de faire du concerto sous sa direction. Haydn, Schumann, etc., jusqu’à cette Concertante que les interprètes emportent avec un souffle et imagination sonore pour le moins irrésistibles.
 

Prokofiev : Symphonie concertante op. 125 (2e mvt, ext) - Harmonia Mundi

Ouvert à la découverte, B. Philippe s’est aussi laissé tenté par le baroque et l’aventure de l’Ensemble Jupiter de Thomas Dunford. « Ayant été élève de Jérôme Pernoo, j’ai assez tôt entendu parler baroque et été confronté aux cordes en boyau car Jérôme avait eu la bonne idée de faire l’acquisition d’un violoncelle piccolo (à 5 cordes) pour sa classe afin de nous permettre de jouer la 6ème Suite de Bach, rappelle B. Philippe. Je me sentais à la fois attiré et un peu effrayé par le baroque à cette époque et puis, d’autres préoccupations –  sur cordes en acier ! – ont pris le dessus. » Il y a un an et demi, coup de fil de Thomas Dunford qui avait découvert une vidéo de B. Philippe jouant un concerto de Haydn. « Il m’a fait part de son enthousiasme et proposé de collaborer avec l’Ensemble Jupiter, pour des concerti et du continuo. J’ai réfléchi quelques jours et j’ai franchi le pas. Je me sers de mon violoncelle (un Tononi prêté par la Beare’s International Violin Society ndlr) que j’équipe de cordes en boyau. C’est une expérience extraordinaire avec une équipe merveilleuse dont j’apprends beaucoup », avoue B. Philippe avec un enthousiasme gourmand. On pourra en juger, le 29 novembre à la salle Gaveau, lors d’une soirée vocale et instrumentale de Jupiter avec Léa Desandre, au cours de laquelle le violoncelliste jouera le Concerto en sol mineur RV 416 de Vivaldi.

D’ici là, un moment joyeux attend le public, à l’Auditorium du Mahj, le 19 novembre, puisque le violoncelliste y fait équipe avec Raquel Camarinha et Yohann Hereau pour soirée d’hommage à Jacques Offenbach tandis que l’année du bicentenaire touche à sa fin.
Quant au début 2020, notez dès à présent que Bruno Philippe et Tanguy de Williencourt participeront à l’excellente série des Musicales de Croissy, le 26 janvier, avant de retrouver la scène de la Scala-Paris, le 28 février, pour une soirée toute schubertienne.

Alain Cochard
(Entretien avec Bruno Philippe réalisé le 31 octobre 2019)

Calendrier des concerts de Bruno Philippe : www.harmoniamundi.com/#!/artists/2835
 
Photo © Philippe Matsas

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> Interview de Bruno Philippe, violoncelle


> Les Pianissimes invitent Bruno Philippe et Tanguy de Williencourt à la salle Cortot


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