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Benvenuto Cellini au Théâtre des Champs-Élysées - Feux et flammes - Compte-rendu
Benvenuto Cellini constitue une aventure pour un mélomane parisien, presque une expédition en territoire méconnu. Car l’opéra de Berlioz s’est révélé plus que parcimonieux à Paris, la ville où il fut conçu et créé : deux concerts en 2003, de l’Orchestre de Paris et de l’Orchestre national de France (sous l’égide de John Nelson, gravé pour Virgin et rendant seul véritablement justice à l’opéra) ; en 1993 un spectacle à la Bastille ; en 1972 une autre production à l’Opéra de Paris. Et c’est tout ! entre la création même en 1838 et la parenthèse de la production qui ouvrait le Théâtre des Champs-Élysées en 1913 (sous la direction de Felix Weingartner). Dans le reste de la France, le tableau serait tout autant décourageant, puisque depuis vingt-cinq ans il ne faut compter qu’avec les seules représentations de Strasbourg en 2006. Pour les temps qui viennent, rien ne s’annonce dans ce “ plaisant pays de France ”, dont Berlioz se demande “ où le bon Dieu avait-il la tête ” en l’y faisant naître. L’intention de l’actuelle direction de l’Opéra de Paris demeure dans les limbes, et le projet pour l’Opéra-Comique (prometteur, avec Gardiner) paraît reporté sine die. Reste à voyager, en Allemagne (encore une production annoncée pour la saison prochaine), à Londres (à l’ENO en 2014), ou en Russie…
Le Théâtre des Champs-Élysées entendait, donc, commémorer son centenaire et les représentations de l’opéra qui en avril 1913 avaient inauguré la maison. Initiative timorée : une unique soirée, de concert, empruntée à l’extérieur, aux forces du Mariinsky de Saint-Pétersbourg et de son tsar, Valery Gergiev (photo). Mais Gergiev et Benvenuto, c’est une longue idylle : depuis 1999, avec l’Orchestre philharmonique de Rotterdam, concert repris en tournée, puis les représentations de 2007 à Salzbourg, les uns et les autres entrecoupés et suivis de concerts dans différentes villes, notamment au Mariinsky ou avec la troupe de ce théâtre. Peu de chefs, si l’on omet Davis et Nelson, peuvent se vanter d’une si fidèle complicité.
Le point de départ, Rotterdam donc, semble lui aussi resté fidèle : à la version de l’opéra de 1838, avec plus ou moins de constance. Au Théâtre des Champs-Élysées, a été donnée ainsi à entendre la version dite “ Paris 1 ” (comme la stipule la partition Bärenreiter, correspondant à l’opéra tel qu’il fut primitivement écrit, avant les révisions au cours des représentations à l’Opéra de Paris, version “ Paris 2 ”, puis sous l’égide de Liszt en 1852, version dite “ Weimar ”(1) ; à l’encontre du programme de salle qui annonçait aventureusement : “ Opéra en trois actes (1852) ”. Ou plutôt : “ Paris 1 ” grosso modo, et déparé de coupures. Peu incidentes : la reprise du Chant des ciseleurs, le prélude instrumental précédant l’air d’Ascanio ; puis brutales et d’un bloc : toute la musique (exceptée la Chanson de matelots) entre le susdit air et l’épisode final de la fonte irradiante de la statue et accomplissement de l’artiste Cellini. L’entracte de la soirée, placé en milieu d’acte, avant le tableau du Carnaval romain, laissait présager quelque malversation, que la seconde partie du concert a confirmée… Reconnaissons toutefois que nous préférons ce genre de coupe franche et nette, aux tripatouillages insidieux et tarabiscotés : comme lors du concert de Colin Davis au Barbican de Londres en 2007 (reporté sur disques chez LSO Live), plus gravement dommageables avec ses dialogues parlés apocryphes.
Clos ce chapitre épineux, venons-en à l’interprétation. Pour la chanter. Le chef, le chœur et l’orchestre maîtrisent l’ouvrage, un ouvrage difficile comme il en est peu. Nonobstant les tics de Gergiev : une préparation à la va-vite, dont témoignent des raccords de toute dernière minute (et dont nous avons été témoin) et les tâtonnements de premiers moments, dans une ouverture encore indécise et une première scène qui prend mal corps. Mais ensuite, quel feu ! Ce feu, inhérent à la musique et à son livret, qui crépite de bout en bout, dans des tempos vifs (parfois moins, on ne sait pourquoi) et ardents, dans l’entrelacs précis d’une partition enchevêtrée entre toutes, entre les chœurs, les solistes et le contrepoint pointilliste des instruments. Et la distribution vocale suit, jusqu’aux plus moindres rôles (le Cabaretier, campé hardiment par Andrei Zorin), investie et en parfaite adéquation avec ses personnages – même dans l’élocution, mieux lancée que chez bien des chanteurs français. Anastasia Kalagina épanche sa Teresa avec une ampleur affirmée passant la soirée. Sergei Semishkur, au timbre ingrat, livre un Cellini ferme qui sait à l’occasion jouer des notes de passages et de tête. Ekaterina Semenchuk dispense un Ascanio au mezzo assuré, expliquant que l’on ait conservé son air, acquitté avec brio. Mikhail Petrenko n’est peut-être pas le Pape profond que l’on aurait attendu de sa réputation, mais son legato en reste digne.
L’émotion des chanteurs, au moment des saluts, est visiblement palpable. Après la restitution enflammée d’un tel scintillant chef-d’œuvre, on les comprend !
Pierre-René Serna
(1) Pour plus de détails sur les différentes versions de l’opéra, nous renvoyons le lecteur à notre ouvrage Berlioz de B à Z (Van de Velde).
Berlioz : Benvenuto Cellini (version de concert) - Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 1er juin 2013
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Photo : DR
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