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​Attila de Verdi en version de concert à l’Opéra de Marseille – Le Hun et les autres – Compte-rendu

Les temps sont durs ? Qu’à cela ne tienne. A Marseille, le directeur général de l’Opéra, Maurice Xiberras, a décidé de pallier les effets de la crise qui entraîne une réduction des mises en scène pour des raisons budgétaires, par la programmation, en version de concert, d’œuvres peu jouées et dignes d’intérêt. Avec, à chaque fois, un challenge de taille : réunir un casting d’exception afin que les voix gomment la frustration éventuelle liée à l’absence de jeu scénique. Force est de reconnaître, au soir de la deuxième représentation de Attila de Verdi, que le défi est relevé.
 
A 29 ans, contexte géopolitique aidant, Verdi surfe sur le succès de Nabucco (1842). Quatre ans et cinq opéras plus tard, seule sa Giovanna d’Arco (1845) a apporté quelques satisfactions à son ego de compositeur et il va titiller à nouveau la fibre nationaliste avec Attila (créé à la Fenice le 17 mars 1846), ce roi des Huns qui peuple les légendes germaniques et ressemble bigrement à ces envahisseurs autrichiens encore maîtres à Venise. Alors la Cité des Doges se transforme en Aquilée, Odabella en fille du seigneur assassiné qui veut venger la mort de son père en tuant Attila. Et vogue la gondole …
 
Solera et Piave ficèlent un livret qui tient à peu près la route, sur lequel Verdi va composer cette musique dont il a le secret avec ses grands élans guerriers, déferlements de cordes et de cuivres, tempêtes de bois et de percussions, et ses moments plus paisibles mais toujours tendus, réservés à l’expression plus intime et personnelle des protagonistes. Partition où l’on discerne déjà quelques constructions géniales qui feront les triomphes des chefs-d’œuvre à venir.
 

Paolo Arrivabeni © Louis Wauters

A la tête de l’orchestre de l’Opéra marseillais qu’il apprécie, et dont les musiciens lui rendent la pareille depuis des années, Paolo Arrivabeni détaille et exalte la partition avec passion et minutie. Sa sensibilité et sa précision font des merveilles, chaque départ est donné "on time", chaque regard est chargé de sens ; le « fratello d’Italia », maestro de son état, vit la musique plus qu’il ne la dirige. L’occasion pour la totalité des pupitres d’offrir une interprétation idéale d’un répertoire fort apprécié ici et pour lequel chacun met un point d’honneur à apporter la chaleur, les couleurs et toutes les nuances qui lui donnent corps.
 
Un archange pour incarner le roi des Huns, l’affaire prête à sourire. Et pourtant ? « Le Hun » c’est bien Ildebrando D’Arcangelo (photo), succédant sur cette même scène à José Van Dam (en 1978 et 1985). Le baryton-basse italien trouve ici un rôle presque taillé sur mesure où la vaillance et la sensibilité s’unissent. Car le guerrier sanguinaire n’est pas dénué d’humanité et de sentiments, ce qui confère au personnage un intérêt certain.
Des traits de caractère parfaitement illustrés par Ildebrando D’Arcangelo dont l'incarnation, d'une grande noblesse, puissante et maîtrisée, montre une réelle sensibilité aussi. Enorme, et mérité, triomphe aux saluts.
 

Csilla Boross (Odabella) © Christian Dresse
 
Il y avait donc le Hun qui n’aurait rien été sans les autres. Car pour relever le challenge évoqué plus haut, c’est un trio de luxe qui était convoqué. A commencer par Csilla Boross en Odabella. La soprano lyrique impose son rôle de vengeresse avec puissance et assurance, aigus maîtrisés et sombres graves. « Nous les femmes italiennes, combattrons sur les champs de bataille » lance-t-elle à Attila au cours du prologue ; elle est montée sur la ligne de front lyrique avec succès s’imposant une fois de plus ici après sa prestation dans Nabucco il y a quelques mois.
 

Juan Jésús Rodriguez (Ezio) © Christian Dresse

Juan Jesús Rodriguez était alors ce Nabucco. Devenu Ezio, général romain face au roi des Huns, il impose une fois de plus des qualités vocales qui font aujourd’hui de lui le baryton « chouchou » du public marseillais. Projection idéale, ligne de chant parfaite, grande présence, sens de l’incarnation : il ne manque de rien. Du grand art. Quant au ténor Antonio Poli, il offre un parfait Foresto, un peu mièvre en amoureux transit jusqu’à ce qu’il impose une autre facette de son personnage en devenant conspirateur mais, dans les deux cas, il se révèle vocalement assuré, nuancé, puissant et facile dans la projection.
 

© Christian Dresse

Louis Morvan, la voix du Pape Léon 1er, est une basse sans faille dans le peu qu’il a à chanter – et dont les tonalités ont fait surgir un Commandeur dans notre esprit –, et Arnaud Rostin-Magnin, un Udino précis appelé à gagner en puissance. Quant au chœur – multi-usages puisque tour à tour guerriers, rescapés, vierges, prêtres et prêtresses, druides, entre autres – il apporte sa solidité à un édifice déjà bien campé sur ses bases, préparé pour la circonstance par Florent Mayet.
 
Michel Egéa
 

Verdi : Attila (version de concert) – Marseille, Opéra, 2 novembre (2ème représentation) ; dernière représentation le 4 novembre 2023 // opera.marseille.fr/programmation/opera/attila

Photos © Christian Dresse

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