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Artaserse à l’Opéra royal de Versailles - Feu d’artifices -Compte-rendu

De par la volonté et le désir de Max Emanuel Cencic et de Diego Fasolis, l’ultime opéra de Leonardo Vinci (1690-1730) a resurgi de ses cendres. Il y a eu la production à l’automne 2012 à l’Opéra de Nancy (celle même reprise à Versailles, précisément), aussitôt suivie d’une tournée de concerts, dont une étape en décembre de la même année au Théâtre des Champs-Élysées. Une tournée triomphale ! Mais liée au contexte : la réunion de cinq divos du falsetto, cinq contre-ténors parmi les plus en vue. Une espèce de plateau unique et improbable (en la cruelle absence actuelle des castrats !).
 
Mais on aurait tort de réduire la réalisation à son anecdote. Car il faut compter sur un méritoire travail préparatoire : entre différents manuscrits à Rome et à Naples, et entre différentes versions. Sachant que l’opéra, créé en 1730 et l’un des plus célèbres en son temps, n’a cessé d’être modifié au long de ses innombrables reprises. Il a donc été opté pour une combinaison, parmi d’autres, cependant la plus proche possible de l’original. Étant donné aussi qu’il a fallu dans certains cas transposer des airs, en fonction des chanteurs réunis. Des pratiques courantes à l’époque de l’ouvrage… S’il faut parler de reconstitution idiomatique, c’est plutôt alors dans l’esprit.
 
Artaserse est donc de retour de ses glorieuses pérégrinations, à l’Opéra de Versailles. Une forme d’aboutissement, dans ce cadre unique, contemporain de l’œuvre et des salles qui l’accueillaient. En outre, l’opéra bénéficie ici d’une mise en scène, inhérente à la destination de la pièce et à sa trame contournée dans une Perse antique de convention (l’un des premiers livrets de Métastase). La conception scénique semble avoir été revue depuis Nancy (par Rares Zaharia, selon le programme), mais on est immédiatement frappé par sa justesse, sa profusion, son imagination, son esthétique aussi, tout à fait en phase avec le sentiment de la pièce. Silviu Purcarete, signataire officiel du spectacle, livre un beau talent de réalisateur : dans fourre-tout maîtrisé, des poses, perruques et plumes louis-quatorziennes (assez incongrues, sauf à Versailles), mêlées d’armures de samouraï ou sorties de La Guerre des Étoiles, on ne sait, des visages plâtrés, un jeu incessant de travestissements, des feux de la rampe crûment drus. Entre Folies Bergères et Cage aux Folles... Mais c’était bien cela l’opéra à Rome et Naples, dans cette première moitié du XVIIIe siècle ! Subjugué par cette fête des yeux, l’intérêt ne faiblit pas un instant, au cours d’un spectacle de trois heures quarante alignant sans discontinuer ses arias da capo et récitatifs secco.
 
Il le doit aussi à la restitution musicale, et particulièrement vocale. On s’en serait douté ! Mais ce n’est pas seulement de prouesse – et quelle prouesse ! – qu’il s’agit. Car justice est rendue à l’inspiration et à la diversité mélodique, sur une rythmique toujours inventive. Et tous de s’acquitter avec brio de ce délire d’arias échevelés : Vince Yi aux aigus ardents (nouveau venu de la distribution, succédant à Philippe Jaroussky), Max Emanuel Cencic, dont la réputation n’est plus à chanter, mais aussi Valer Sabadus et Yuriy Mynenko, à la puissance sidérante pour un contre-ténor, et, spécialement, Franco Fagioli : la vedette attendue, qui ne déçoit pas ses adulateurs par sa confondante agilité et facilité. Mais pareillement Juan Sancho, seule tessiture de poitrine et ténor baroqueux éclatant. Diego Fasolis mène pour sa part un Concerto Köln acéré, avec une énergie du diable. À l’image d’une soirée ensorcelée.
 
Pierre-René Serna
 
Vinci/Métastase : Artaserse - Versailles, Opéra royal, 19 mars, prochaine représentation 23 mars 2014
 
Photo @ Julian Laidig

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