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Ariane à Naxos selon Michel Fau au Théâtre du Capitole – Grandes voix, couleurs pimpantes – Compte-rendu

Opéra bouffe, opéra seria, commedia dell’arte, Ariane à Naxos est tout cela à la fois et c’est ce qui contribue à en rendre toute représentation passionnante. La tragédie lyrique et la verve comique s’y affrontent et s’y marient avec toujours cet immense amour du théâtre et du chant qui dépasse les modes. La nouvelle production (une coproduction avec l’Opéra-Orchestre national de Montpellier-Occitanie) que signe Michel Fau, avec la collaboration de David Belugou (décors et costumes), ne se veut pas révolutionnaire. Entendons par là qu’elle respecte le cadre de l’intrigue (perruques et robes à paniers nous ramènent bien au dix-huitième siècle), sans y rajouter une quelconque relecture d’actualité. Au cours du Prologue, tout se joue sur deux niveaux d’importance inégale. Les comédiens sont confinés en bas devant les portes qui mènent à leurs loges. Plus haut, comme en majesté, le majordome (savoureux Florian Carove) vient annoncer les décisions sans appel du riche mécène, commanditaire du spectacle qui se prépare.

© Cosimo Mirco Magliocca

 L’acte unique qui vient ensuite bénéficie d’une mise en scène plus complexe, et cela grâce en partie aux effets ingénieux des lumières (Joël Fabing) qui, à plusieurs moments, modifient notre vision de la grotte, dans laquelle s’est réfugiée Ariane. Décor épuré, couleurs pimpantes, arbres stylisés, il y a là à la fois un hommage discret aux savantes machineries de l’époque baroque et un clin d’œil à une imagerie enfantine – et néanmoins très moderne – telle qu’elle pouvait exister en 1916, lorsque l’opéra de Richard Strauss et d’Hugo von Hofmannsthal est créé à Vienne. Seul reproche que l’on peut faire à Michel Fau : les comédiens italiens interviennent généralement en marge du récit dramatique et ne s’y impliquent pas directement. Le rythme de l’ensemble et plus encore l’humour qui se dégage de ce regard complice sur le monde lyrique n’en procurent pas moins un régal constant pour les yeux, toujours en parfaite harmonie avec ce qu’exprime la musique.

Issachah Savage (Bacchus) & Catherine Hunold (Ariane)  © Cosimo Mirco Magliocca

Un même plaisir de jouer se devine dans les rangs de l’Orchestre du Capitole, que dirige Evan Rogister. Au gré des événements, le discours des instruments sait se faire allusif, grave, enjoué, sans rien perdre jamais ni de sa fluidité ni de son élégance.
 Les deux rôles principaux sont tenus par ce que l’on appelle aujourd’hui encore des voix « héroïques », capables d’aborder crânement des tessitures aiguës souvent redoutables. Défendu avec tant de flamme, Richard Strauss bascule plus vers Wagner que vers Mozart. Un peu trop peut-être ? Avec un timbre d’une rare splendeur et des ressources infinies de vaillance, Catherine Hunold réussit haut la main sa prise de rôle, en nous offrant une Ariane impressionnante, toute de majesté et d’émotion. Issachah Savage ne lui cède en rien pour ce qui est de l’éclat vocal et de la hardiesse victorieuse, jusque dans les zones les plus périlleuses que Richard Strauss réserve à Bacchus. Prise de rôle également pour Anaïk Morel qui d’emblée trouve le ton juste, qui donne au Compositeur sa dimension à la fois juvénile, impétueuse et idéaliste. En remplacement de Jessica Pratt, Elizabeth Sutphen incarne une Zerbinetta allègre, ni trop acide ni trop mécanique, tout simplement humaine.

Elizabeth Sutphen (Zerbinetta) @ Manuel Nuñez Camelino (Le Maître à danser)  © Cosimo Mirco Magliocca

Tant par leur jeu que par le contraste de leurs timbres, Werner Van Mechelen et Manuel Nuñez Camelino expriment parfaitement les différences de tempérament qui séparent le Maître de musique et le Maître à danser. Arlequin (Philippe-Nicolas Martin), les trois nymphes (Caroline Jestaedt, Sarah Laulan, Carolina Ullrich) et les trois bouffons (Pierre-Emmanuel Roubet, Yuri Kissin, Antonio Figueroa) ont aussi leur part dans la réussite incontestable de cette soirée, au cours de laquelle le grand style se plie si habilement aux jeux infinis de l’amour et du spectacle.
 
Pierre Cadars

Strauss : Ariane à Naxos – Toulouse, Théâtre du Capitole, 1er mars ; prochaines représentations les 3, 5, 8 et 10 mars 2019
Coproduction avec l’Opéra-Orchestre national de Montpellier-Occitanie // www.theatreducapitole.fr/
 
© Cosimo Mirco Magliocca

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