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Anastasia de Kenneth MacMillan en direct de la Royal Opera House – Du sang neuf pour un chef-d’œuvre à redécouvrir

Une grande œuvre atypique pour l’époque et unique par son style dans l’ensemble des compositions de Kenneth MacMillan (1929-1992), le plus grand chorégraphe néoclassique de son temps. Et une œuvre qui eut une vie mouvementée comme celle de son héroïne, la malheureuse Anna Anderson, laquelle s’imaginait être la Grande Duchesse Anastasia, fille cadette du tsar massacré avec sa famille à Ekaterinbourg. L’affaire, on le sait alimenta les analystes et les chroniques pendant de longues années avant qu’en 1994, il fut démontré qu’Anna n’était pas celle qu’elle croyait être.
 
Un ballet d’envergure mis de côté, donc, vieux d’un demi-siècle, et avec un sujet qui ramène à la fois aux drames de l’histoire et à celui d’une femme déséquilibrée, face à son chaos intime, sujet qui pourrait d’ailleurs convenir tout à fait  au style et aux préoccupations d’un John Neumeier à Hambourg, à ce jour. Neumeier d’ailleurs grand admirateur de Kenneth MacMillan, puisqu’il hésita des décennies avant d’oser donner forme à son propre Chant de la Terre, tant ce chef-d’œuvre que MacMillan chorégraphia en 1965 pour le Ballet de Stuttgart, où l’avait invité son ami John Cranko, lui paraissait insurpassable.
 

Kenneth MacMillan © The MacMillan Estate
 
Un bonheur pour les spectateurs  que de redécouvrir ce ballet resté dans les limbes trop longtemps, depuis sa dernière production à Londres par le Royal Ballet, datée d’il y a juste vingt ans. A Paris, on se régale abondamment de l’Histoire de Manon, l’un des plus grandes réussites du chorégraphe, entré au répertoire de l’Opéra en 1990, et qu’Aurélie Dupont choisit pour ses adieux. On y vit également les Quatre saisons, sur la musique de Verdi et Métaboles en hommage à Dutilleux. Mais en dehors de Manon, vraie merveille, rien en France qui put donner une idée de l’œuvre magnifique de ce prolixe chorégraphe, lequel a donné au Royal ballet, qu’il dirigea de  1970 à 1978, une partie majeure de son répertoire, à partager avec Ashton, auteur du célèbre Marguerite et Armand, version anglaise de la Dame aux camélias.
 
En premier lieu dans l’œuvre de MacMillan, un extraordinaire Roméo et Juliette, inégalé, malgré l’infinité des versions inspirées par la partition de Prokofiev, et que Margot Fonteyn et Rudolf Noureev marquèrent à jamais. Inoxydable clef de voûte du répertoire, vrai trésor national, dont le Royal Ballet fêta l’an passé le cinquantième anniversaire! C’est ainsi que l’écossais MacMillan fut , avec Cranko, l’artisan majeur de cette renaissance du ballet narratif qu’on avait vu s’étioler dans les années 30, après la révolution des Ballets Russes, alors que la danse se faisait de plus en plus conceptuelle. Il gardait certes les leçons de Petipa, mais en laissant de côté les princes et les princesses.-même si au passage MacMillan revisita les grands classiques comme la Belle au Bois dormant  et le Lac des Cygnes- Aujourd’hui, la veine ne s’est pas tarie avec des créateurs tels que John Neumeier en Allemagne et Boris Eifman en Russie, elle reprend même de l’énergie en France, grâce à Angelin Preljocaj et Thierry Malandain, aux approches plus modernes, outre les grandes fresques de Kader Belarbi.
 
On a donc souvent admiré l’extrême expressivité, la finesse psychologique, l’intensité émotionnelle des chorégraphies de MacMillan, capable de bouleverser par la vérité et la musicalité de ses gestes, l’intelligence de ses constructions, servies par un langage académique assoupli, marqué par d’admirables portés. Mais avec Anastasia, il en va autrement. Le ballet, dédié à dame de Ninette de Valois, créatrice du Royal Ballet, tranche avec le reste de son œuvre par un emprunt très marqué à l’expressionnisme, l’évolution tragique de l’héroïne vers l’enfermement et la folie tranchant avec l’évocation  plus traditionnelle des événements historiques, passant des tableaux de cour à la révolution bolchevique, avec en projection des extraits d’un film documentaire, Du Tsar à Staline. Le plus noir tragique règne dans ce ballet admirablement construit, accentué par le choix d’extraits de la 6e Symphonie de Bohuslav Martinu et de musiques électroniques de Fritz Winckel et Rudiger Rufer. Cela pour le troisième acte, qui constitua d’abord la totalité du ballet, MacMillan, en froid avec le Royal ballet, l’ayant créé au Deutsche Oper de Berlin en 1967. Devenu directeur du Royal ballet, il l’y reprit en 1971 pour lui donner de plus vastes proportions : le ballet se joua donc en trois actes, avec pour le premier acte le support de la 1ère Symphonie de Tchaïkovski et pour le deuxième, la 3e Symphonie du même.
 
Cette étonnante évocation d’un double drame en prise sur l’histoire, accueillie diversement pour son caractère âpre et provocant à sa création, fut peu reprise par le Royal ballet, qui le remonta simplement en 1996. C’est donc aujourd’hui une manière d’événement que cette redécouverte d’une œuvre marquée à sa création par l’extraordinaire performance de Lynn Seymour, l’une des grandes ballerines d’alors et à coup sûr l’une des plus expressives. Mais autour d’elle, un tourbillon de personnages montrait alors la fine fleur d’un Royal ballet en pleine splendeur, le beau Derek Rencher en Nicolas II, les superbes Svetlana Beriosova, Lesley Collier et Jennifer Penney.

Aujourd’hui, un sang nouveau, souvent d’un peu partout, anime la compagnie, à commencer par l’exceptionnelle Natalia Osipova, venue du Bolchoï, qui incarnera Anastasia, l’Argentine Marianela Nuñez et l’Italien Federico Bonelli. Avec un chef qui connaît parfaitement la danse, l’Australien Simon Hewett, également très fréquent dans la fosse de l’Opéra de Hambourg, où John Neumeier lui confie nombre de ses ballets.
 
Jacqueline Thuilleux

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Anastasia (ballet de Kenneth MacMillan), Retransmission en direct de la Royal Opera House.
2 novembre 2016 – 20h15
Pour localiser le lieu de diffusion le proche de votre domicile : www.roh.org.uk/cinemas
 
Pour en savoir plus sur Kenneth MacMillan : www.kennethmacmillan.com
  
Photo © Royal Opera House

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