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Alexandre Kantorow, Stanislav Kochanovsky et l’Orchestre de Paris – L’art de la narration – Compte-rendu

Une semaine pile après la réouverture des salles au public, l’Orchestre de Paris faisait sa « rentrée » sous la direction de Stanislav Kochanovsky (photo). Après une intégrale des concertos de Rachmaninov (avec Lugansky, Matsuev et Abduraimov) en 2019 et un concert en remplacement de Tugan Sokhiev en octobre dernier, l’artiste russe (40 ans tout rond cette année) retrouvait les musiciens parisiens, avec un bonheur partagé si l’on en juge par la profonde complicité qui régnait entre le chef et ses troupes.
 

Alexandre Kantorow © Jean-Baptiste Millot
 
L’entente n’était pas moins parfaite avec Alexandre Kantorow, soliste du 2ème Concerto de Prokofiev. Il fallait qu’elle le fût pour parvenir à mettre en œuvre une interprétation profondément originale, à rebours des conceptions en force, façon entrée-des-chars-soviétiques-à-Budapest. Tout au contraire, le résultat frappe par sa mobilité, son caractère aérien parfois même (le Scherzo vivace, phénoménal !) et l’intensité de l’échange entre le clavier et un orchestre fourmillant de vie. Kochanovsky a d’évidence accompli un travail de préparation très poussé avec ses instrumentistes ; il n’est pas là pour dérouler une toile de fond, pas plus que Kantorow pour se complaire dans un quelconque numéro de virtuosité et d’esbroufe en solitaire. D’un bout à l’autre, l’intelligence de leur dialogue captive. Le jeune pianiste, absolument maître de son sujet, transcende la dimension virtuose pour construire une vraie dramaturgie – les premier et dernier mouvements s’avèrent à cet égard remarquables –, chacun de ses choix recueillant l'écoute la plus vigilante de la part de Kochanovsky.
En bis, Kantorow cultive le parfum légendaire de la Ballade op. 10 n° 1 de Brahms avec un raffinement des nuances et une force évocatrice admirables.
 
© Evgeny Evtyukhov

L’art de la narration aura d’ailleurs été le dénominateur commun de la soirée : magnifiée par la science des timbres du maestro, la suite Shéhérazade de Rimski-Korsakov nous embarque dans un conte féerique. Outre le talent du chef, la réussite tient sûrement aussi au plaisir que l’Orchestre de Paris éprouve à se plonger dans une partition à laquelle il n’a pas touché depuis ... dix ans ! (1) Une fabuleuse alchimie des timbres opère : Kochanovsky, d'une autorité aussi naturelle que souriante, se montre attentif à chaque pupitre (Eiichi Chijiiwa est un violon solo d’une grande pureté) et libère les sortilèges sonores de la partition avec souplesse, sens du phrasé et des transitions. Sous le charme, la petite harmonie se montre à son meilleur, mais le goût du détail du maestro ne contrarie jamais le déploiement de la grande ligne. Un peu plus de quarante minutes sans l’ombre d’un temps mort, sous la conduite d’un magnifique artiste (que l'on espère vite revoir à Paris !) : un moment d’exception où l’on comprend que si Debussy, Stravinsky et Schoenberg furent les pères de la musique moderne, l’un de ses plus merveilleux grands-pères se nomme Rimski-Korsakov.   
Que tous les absents se consolent : le concert sera diffusé sur Radio Classique le 12 juin.

Alain Cochard
 

(1) La dernière apparition de l’ouvrage à l’Orchestre de Paris remonte à 2011, sous la baguette de Yutaka Sado.
 
Paris, Philharmonie (Grande Salle Pierre Boulez), 26 mai 2021 / Concert capté par Radio classique ; diffusion en différé le 12 juin à 21h, puis disponible à la réécoute pendant trois mois.
 
Photo © Simon von Hoxtel
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