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​Aida à l’Opéra Bastille (2e distribution) – L’exil et le royaume – Compte rendu

 

Ni la production d’Olivier Py (2013), ni celle de Lotte de Beer, toutes deux désolantes, ne pouvaient rester au répertoire de l’Opéra de Paris, c’est pourquoi Alexander Neef a demandé à Shirin Neshat de reprendre le spectacle qu’elle avait créé au festival de Salzbourg en 2017, repris en 2022. L’artiste connue pour son travail cinématographique, photographique et ses installations, n’est venu que tardivement à la mise en scène, son exil d’Iran, son questionnement sur les problématiques liées au pouvoir, à la religion, à la race et au genre en Orient comme en Occident lui ayant permis de s’emparer d’Aida avec la plus grande détermination. 

 

© Bernd Uhlig

Un décor très étudié

Sa lecture modernisée, marquée par les luttes de pouvoir, les conflits souvent sanglants entre les peuples et la soumission des femmes au patriarcat, traite le sujet au lieu de l’utiliser à des fins opportunistes et irrespectueuses. En plasticienne, cette dernière propose un spectacle à l’esthétique affirmée, au décor très étudié (un cube qui s’ouvre en deux, se dissocie à l’envi et tourne sur lui-même, conçu par Christian Schmidt) impeccablement éclairé par Felice Ross et recouvert d’immenses photos de visages en noir et blanc, ou de belles vidéos qui rappellent l’oppression, l’exil, la soumission... Peu portée sur le jeu, Shirin Neshat privilégie le hiératisme des poses et remplace les parties dansées par de lentes processions aux allures de rituel, tout en intégrant plusieurs scènes de sacrifices (une femme et un animal) qui confèrent au drame sa violence.

 

© Bernd Uhlig

Sûreté et beauté du phrasé

Costumes et coiffures ont été modifiés par rapport à Salzbourg où Anna Netrebko n’avait rien d’une esclave éthiopienne avec ses toilettes et ses bijoux voyants, l’utilisation du décor a été revue comme pendant le Triomphe (pas d’estrades à Paris), l’exécution inattendue des esclaves faits prisonniers par les troupes de Radamès à la fin du second acte étant un ajout brutal et sans appel.
Commencée le 24 septembre avec une première distribution dirigée par Michele Mariotti, les dernières représentations se poursuivent avec un second cast jusqu’au 4 novembre. Ewa Plonka a les moyens d’Aida, voix longue et égale sur toute la tessiture, conduite avec sûreté et un beau phrasé qui respecte la partition. Lui font défaut une palette de couleurs plus variée, une sensualité et une personnalité vocale que seules Sondra Radvanovsky, en état de grâce en 2021 (Lotte de Beer), ou Anna Netrebko à la rondeur profuse (Salzbourg 2017) possèdent intrinsèquement pour exprimer le déracinement de la princesse éthiopienne.

Infatigable Gregory Kunde

Julia Kutasi, Amneris empêtrée dans les voiles de ses robes, chante faux une grande partie de la soirée avant d’aborder le duo du 4ème acte et plus encore la scène du Jugement avec l’énergie du désespoir mais un excès de décibels. Chez les messieurs, Gregory Kunde desservi par sa perruque et un maquillage qui le font passer pour Mao Zedong, est toujours aussi vaillant et vocalement crédible en Radamès ; l’instrument conserve sa puissance, son homogénéité, sa souplesse et ses nuances que l’on goûte jusqu’au dernier aigu piano, longuement émis dans le duo final.

 

Dmitry Matvienko © Daniil Rabovsky

Les débuts remarqués de Dmitry Matvienko

Le baryton Roman Burdenko campe un solide et implacable chef de guerre (Amonasro) auquel manque tout de même l’aura d’un grand chanteur capable de soulever les foules et de les faire fondre avant même d’avoir ouvert la bouche. Krzysztof Baczyk en Roi, Alexander Köpeczi en Ramfis, Margarita Polonskaya en grande Prêtresse et Mabase Latu en Messager tiennent dignement leur rang, comme un chœur (préparé par Ching-Lien Wu) à la fête dans une partition dirigée par Dmitry Matvienko. Pour ses débuts in loco, le jeune chef russe trouve le juste équilibre entre l’exaltation des vainqueurs et les souffrances des vaincus, son geste ferme et le choix de ses tempi s’avérant payant.
 
François Lesueur

 

Verdi : Aida  – Paris, Opéra Bastille, 22 octobre ; prochaines représentations les 1er et 4 novembre 2025 //  www.operadeparis.fr/saison-25-26/opera/aida
 
Photo © Bernd Uhlig

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