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« Figures in extinction » par le Nederlands Dans Theater au Théâtre de la Ville - Ecologorrhée gestuelle – Compte-rendu

 
Une trilogie : vaste programme qui effectivement a été conçu en trois épisodes, réunis à Paris pour la première fois,  et créés séparément à la Haye et Manchester en 2022, 2024 et 2025, par le Nederlands Dans Theater. Comme auteurs, le tandem vedette Crystal Pite et Simon McBurney : on sait l’habileté diabolique de la chorégraphe Pite pour tresser des ensembles dont la géométrie ondule fébrilement, tout en flirtant avec l’intellectualité à la mode et la vulgarité d’un show accrocheur, on sait aussi le désir affirmé vigoureusement par le brillant homme de théâtre qu’est McBurney de faire voler en éclats les codes des anciennes formes scéniques. A eux deux, pour ce si long spectacle, ils composent un mélange qui peut paraître détonnant, mais joue surtout abusivement des diktats à la mode (drôle de façon d’innover), et s’enlise vite  dans un ennui pesant, répétitif, à force d’imbriquer des éléments qui se portent nettement mieux tous seuls, tels le verbe et la danse.

 

 
D’une lourdeur un peu niaise
 
Voici donc une diatribe mélancolique ou agitée, très gretathunbergienne, appuyée sur des références littéraires hautement référentielles, telles l’écrivain John Berger et le chercheur Ian McGilchrist. Le rideau se lève, et très vite l’écologorrhée commence. On a l’impression d’ouvrir sa télé, son journal : oui, le monde va mal (mais est-il jamais allé bien), oui, nombre d’espèces menacées disparaissent, du fait de notre ingérence coupable (mais les animaux ont-ils jamais cessé de s’entredévorer, ce qui est la loi de la vie). Et défilent, à une vitesse éclair, des apparitions et des énumérations de ces drames, ainsi, pour commencer le bel ibex pyrénéen, puis poissons, oiseaux, batraciens, succession de figures tourmentées aux attitudes magnifiques assurément et dont les souffrances sont énoncées en permanence par des voix gentillettes.
Certes, la danse ne peut pas tout dire, mais ce qu’elle dit le mieux, c’est justement l’indicible. Imposer un récit, une thématique verbeuse, des injonctions appuyées, voilà qui ne fait malheureusement qu’amplifier dans les trois épisodes, fort différents scéniquement mais partant de la même démarche, la lourdeur un peu niaise du propos. D’autant que l’on reste accrochés en permanence aux surtitres, si l’on a le malheur de ne pas être un anglophone accompli. A l’opéra, on peut continuer d’entendre, pour la danse, ils empêchent de voir…

 

© Rahi Rezvani

 
Ennuyeuse leçon de morale
 
Et chaque miette de discours, chaque fragment sonore regroupés par Owen Belton, doublés pesamment par le geste, conduit finalement à retrouver la vieille pantomime, qui se suffisait à elle-même dans sa naïveté. Mais ici les gestes copient les notes, les mots et bizarrement, les vident de leur portée au lieu de l’exalter, tandis que la dégradation de notre monde ne cesse de nous être contée, par de façon onirique ou par des personnages en costume de bureau, avec toutefois une vague d’espoir dans le dernier volet de la trilogie, qui évoque nos racines perdues.

 

© Rahi Rezvani

 
Reste la splendeur des corps

 
Pourtant, tout en déplorant l’ennuyeuse leçon de morale qui se déroule devant nous, et ne fait que renforcer la tristesse ambiante, la déconfiture de nos rêves, une certaine destruction des rapports humains, on se doit de rendre justice à la splendeur des corps des danseurs du Nederlands Dans Theater, jetés dans cette vaine bataille, au talent de la costumière animalière Nancy Bryant (ah, les cornes de l’ibex pyrénéen), à la beauté des lumières de Tom Visser, également créateur de fabuleuses vidéos, exaltant le graphisme mouvant des ensembles. Spectacle pour de vieux enfants, qui ne rend pas justice à une telle conjonction de talents. On en sort en état d’antichoc.
 
Jacqueline Thuilleux

« Figures in extinction » - Paris, Théâtre de la Ville, 22 octobre ; jusqu’au 30 octobre 2025. www.theatredelaville-paris.com
 

Photo © Rahi Rezvani

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