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Semyon Bychkov et Maria Dueñas au Konserthuset de Stockholm – Flamboyant concert du Prix Nobel – Compte rendu

Le concert du Prix Nobel, interprété chaque année par l’Orchestre philharmonique royal de Stockholm, est « le » concert de la saison du Konserthuset. Il inaugure la semaine du Prix Nobel, qui voit se tenir la cérémonie officielle de remise des prix, et la paisible Stockholm entrer dans une agitation inhabituelle (toute proportion gardée). Le prix des places s’envole pour accueillir le gratin suédois, les lauréats des prix et, surtout, Leurs Majestés et la famille royale. Une soirée tout à fait protocolaire, mais qui séduit par le charme de ses traditions dans un décor kitsch à souhait.
Une réflexion sur le silence
L'hymne national suédois ouvre la soirée. À l’entrée d’Harald V et de son épouse, le public se lève et se tourne vers le premier balcon pour saluer le couple royal. Puis place à Mari, de Bryce Dessner, compositeur et producteur américain à la croisée des styles musicaux. La direction assurée de Semyon Bychkov, auquel l’œuvre est d’ailleurs dédicacée, assure une grande fluidité à l’entrelacs tonal des thèmes. Composée pendant la pandémie, Mari est une réflexion sur le silence, tout comme une ode à la nature et à la vitalité de la musique. Dessner convoque plusieurs influences, du romantisme à la musique de film pour se rendre, d’un présent éclatant et mouvementé, vers un ailleurs éternel, un apaisement total par le très long decrescendo final.

Maria Dueñas © Niklas Elmehed
Un violon introspectif mais déterminé
Dans le Concerto pour violon n°2 de Mendelssohn, la jeune Maria Dueñas (née en 2002) offre de prime abord une lecture personnelle de l’œuvre : lumineuse et d’une souplesse délicieuse ; un violon introspectif mais déterminé. Si l’orchestre semble fonctionner à l’économie, avec des fins de phrases tirées au cordeau, c’est qu’il s’adapte parfaitement au jeu ciselé de la soliste et veille à lui laisser tout l’espace nécessaire. Par sa force et l’agilité du démanché, le propos de Maria Dueñas s'avère tout à fait convaincant dans le premier Allegro, brillant dans sa cadence. En revanche, elle peine à se renouveler dans les deux autres mouvements. Après un Andante qui a tout de même su montrer l’étendue de la palette expressive de l’artiste espagnole, l’Allegro final perd en énergie avec un jeu qui semble préférer la clarté et la netteté à l’intuition et à la spontanéité. Suit une standing ovation totale, tout de même largement méritée.

Semyon Bychkov © Niklas Elmehed
Précision, équilibre et noblesse
Après un discours mêlant réflexion sur les liens entre la musique et les disciplines du Nobel, et une citation d’Einstein, Semyon Bychkov déploie une vision architecturale de la Symphonie n°9 de Dvorak. Son travail avec l’orchestre est d’une telle efficacité que celui-ci se pose en véritable parangon de précision et d’équilibre. Rompu à l’esthétique tchèque (il est chef principal de l’Orchestre philharmonique tchèque depuis 2018), Semyon Bychkov conduit la « Nouveau Monde » avec force en évitant tout sentiment de lutte interne. Lorsqu’elles ne mènent pas chaque thème à un haut degré d’expressivité, les cordes accompagnent dans une douceur de soie les interventions des vents, lesquels sonnent avec une évidence désarçonnante. Éclatant sans démesure provocatrice, aux couleurs d’ambre, l’orchestre donne au dernier Allegro la même noblesse qu’à l’Adagio initial. Une version mémorable pour une soirée hors du commun.
Antoine Sibelle

Stockholm, Konserthuset, 8 décembre 2025 // www.nobelprize.org/nobel-prize-concert-2025/
Photo © Niklas Elmehed
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