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Salome Jordania au Festival Piano en Valois 2025 – Du cœur et du feu – Compte-rendu

Depuis sa création il y a un peu plus de trois décennies, le Festival Piano en Valois d’Angoulême réserve une place de choix aux nouveaux interprètes. Avec beaucoup de flair : on n’oublie pas qu’un certain Arcadi Volodos y a donné, il y a bien longtemps, son premier récital français et que nombre de pianistes particulièrement en vue aujourd’hui, tels Kotaro Fukuma ou Florian Noack, y ont été précocement invités par Paul-Arnaud Péjouan et Jean-Hugues Allard, fondateurs et directeurs artistiques de la manifestation. Avec en ouverture le tout jeune Martin Jaspard et avant la conclusion à venir, le 25 novembre, confiée à Nikolaï Luganski (dans un programme Beethoven, Schumann, Debussy, Wagner) l’édition 2025, la 32e, aura accueilli des artistes tels que Clément Lefebvre, Elian Ramamonjisoa, Vyachelslav Gryaznov, François-Xavier Poizat, Giuseppe Guarrera, Hunhee Lee, Jodyline Gallavardin, Akito Tani ou Kotaro Fukuma.
L’une des grandes interprètes de la nouvelle génération
On a pour notre part fait le déplacement à Vars, à quelques encablures d’Angoulême (car le festival rayonne beaucoup sur son territoire) pour retrouver Salome Jordania. Nous avions repéré cette artiste d’origine géorgienne, fille de chef d’orchestre, formée au Conservatoire de Moscou et aujourd’hui installée à Londres, au Festival de Menton l’an dernier. On était curieux de mesurer son évolution depuis lors. Ce que nous pressentions se confirme : à moins de 30 ans, la jeune femme fait indubitablement partie des grandes interprètes de sa génération.

Humour et poésie
De l’Opus 31 de Beethoven, on ne retient généralement que le n° 2 en ré mineur « La Tempête ». C’est sur le n° 1 en sol majeur, parfois surnommé « La Boîteuse », que le choix de Salome Jordania s’est porté. Une composition mal aimée car très souvent ratée – même par des beethoveniens patentés. Il faut en trouver la clef ; la pianiste y parvient avec un esprit, un style et un humour irrésistibles. Et avec une poésie infinie dans l’Adagio grazioso : ce que d’aucuns, commentateurs ou interprètes, imaginent creux, décoratif, superficiel, et expédient tel un pensum, prend sous ses mains une dimension autre, d’une prégnance et d’un charme incroyables.
Suit le Poème Satanique de Scriabine, compositeur envers lequel Salome Jordania manifeste d’évidentes affinités. On l’avait appréciée dans cette œuvre à Menton ; avec une palette de couleurs superbe, elle va plus loin encore et offre une vision radicale et hantée, qui transcende complètement l’héritage lisztien pour pressentir les incandescences tardives du Russe.
D'une noire flamboyance
Musique russe encore en conclusion avec Moussorgsky et les fameux Tableaux d’une exposition dont la pianiste s’empare avec une ardeur formidable, pour saisir toute la portée d’une œuvre qui, derrière le prétexte des peintures, parfois imaginaires, est d’abord inspirée par la mort d’un ami. Semblable à une marche funèbre tout à la fois fataliste et effarée, le Bydlo traduit de la plus saisissante façon le dépassement du pittoresque au profit d’une conception intensément dramatique qui chemine, implacable, vers sa conclusion. Grand moment de musique, d’une noire flamboyance.
Après une partition aussi exigeante d’autres se seraient contentées d’un bis calme et reposant. Salome Jordania est de ces interprètes qui vont au bout d’eux-mêmes et – beau cadeau à un auditoire comblé – termine par la géniale (et digitalement effroyable !) paraphrase sur le Beau Danube bleu de Georges Cziffra. Quelle pianiste et quelle musicienne : on bout d’impatience de découvrir son premier enregistrement en solo, conçu autour de la Sonate de Liszt. Mis en boîte il y a peu, il sera disponible courant 2026 chez La Dolce Volta.
Alain Cochard

32e Festival Piano en Valois, Vars, église, 17 octobre 2025 // pianoenvalois.fr/programme-detaille/
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