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Adieu Régine !

A force de l’employer, l’expression s’est usée, mais dans le cas de Régine Crespin, aucune autre ne convient : avec sa disparition, c’est bel et bien notre dernière vraie diva qui s’en est allée. Les plus jeunes argueront qu’il se lève de nouveaux astres dans le ciel lyrique français et qui rayonnent eux aussi jusque sur les scènes internationales les plus prestigieuses, à commencer par Natalie Dessay ou Roberto Alagna. Mais il manque tout de même encore quelque chose à ces super-professionnels pour en faire d’authentiques divas et divi. Cette aura qui déborde la carrière pour envahir jusqu’à la vie sociale tout entière en passant parfois par les soubresauts de la vie privée. Bref, on dit « LA » Crespin comme on dit « LA » Callas !

Certains voudraient nous faire croire que la presse people date seulement d’hier. Je leur rappellerai simplement que les chapeaux de Régine Crespin ont défrayé la chronique des magazines il y a belle lurette. Sans miser son destin sur la publicité ou la communication, Mme Crespin savait jouer avec la grande presse. Et comme elle avait une classe folle, les journaux raffolaient des anecdotes de sa vie d’artiste et de femme. Certes, elle s’y est brûlée parfois les ailes. Les cabales de rivales malheureuses n’ont pas manqué de l’atteindre vers la fin de sa carrière qui n’eut rien à envier de ce point de vue à celle de La Callas ! Tout jeune homme débarqué à Paris, j’ai entendu une escouade d’excités la siffler au Palais Garnier dans La Walkyrie.

Je ne suis pas sûr que cette grande Carmen n’ait pas aimé l’estocade du public. Née à Marseille, elle avait été élevée auprès d’une grand-mère nîmoise à l’ombre des arènes et des corridas. C’est là que s’était forgée sa force d’artiste et de femme. Elle faillit devenir pharmacienne, mais un concours local révéla sa voix chantée. Elle quitta le pays de Mireille pour le Conservatoire de Paris sans jamais perdre cet accent de soleil qui faisait la couleur originale de sa voix parlée. L’étonnant, c’est qu’avec l’accent comme viatique, elle devait devenir l’une des très rares cantatrices françaises à triompher dans le répertoire germanique. Et cela, reconnaissait-elle volontiers, grâce à un mari brillant professeur d’allemand. En atteste sa magnifique Maréchale du Chevalier à la rose de Richard Strauss enregistré en 1969 avec Georg Solti à la tête du Philharmonique de Vienne (Decca) avec un ténor italien de bel avenir, Luciano Pavarotti.

La Crespin appartient à l’aristocratie des Françaises qui se sont imposées dans le temple wagnérien de Bayreuth où elle chanta successivement Kundry dans Parsifal et Sieglinde dans La Walkyrie. Mais cela ne l’avait pas empêchée de participer à la création des Dialogues des carmélites de Poulenc dans le rôle de la nouvelle Prieure Mme Lidoine, en 1957, avant d’aborder, à la fin de sa carrière, celui de la Première Prieure, Mme de Croissy. Elle y fut éblouissante. On la vit ainsi, à peine remise d’un cancer, jouer la mort de la Prieure alternativement en français et en anglais au Met de New York sous la direction de Michel Plasson. Car La Crespin reste un des grands noms du Met où elle fut la Charlotte de Werther, la Giulietta des Contes d’Hoffmann, Carmen ou la Comtesse de La Dame de Pique. Car elle n’avait pas hésité à se saisir des rôles de mezzo pour suivre l’évolution de sa voix.

Dans la troupe de l’Opéra de Paris, elle brilla dans le rôle de diva tragique de Tosca et participa aux premières tentatives de résurrection des Troyens de Berlioz s’imposant dans le rôle de Didon. Régine Crespin restera dans l’histoire de la musique comme l’interprète idéale et inspirée des fameuses Nuits d’été de notre Hector national. Comme en témoignent ses nombreux disques, elle ne dédaigna pas l’opérette d’Offenbach qu’elle marqua de l’empreinte d’une gouaille qui n’avait d’égale que sa classe de diva sophistiquée. Ses amis comme ses nombreux élèves au Conservatoire de Paris, qu’elle appelait affectueusement ses crespinets et ses crespinettes peuvent témoigner de son humour comme de sa générosité. Plusieurs étés, elle avait animé des cours d’été à l’Académie européenne du Festival d’Aix en Provence. Mais elle avait aussi ses habitudes à la Juilliard School de New York. Fidèle en amitié, jamais critique à l’égard des collègues, elle ne craignait pas la fréquentation des journalistes qu’elle recevait volontiers dans son appartement de la Villa Frochot à deux pas de Pigalle dont la vie nocturne l’avait toujours fascinée.

Jacques Doucelin

Photo : DR
 

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