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69ème Concours international de musique de Genève – Un septuagénaire plein d’avenir – Compte-rendu

Si elle marque la 69ème édition du Concours international de musique de Genève, 2014 correspond aussi au 75ème anniversaire de la naissance de la célèbre compétition musicale suisse, lancée en 1939 par Henri Gagnebin et Frédéric Liebstockl. Ce que l’on dénommait alors « Concours international d’exécution musicale » se déroula du 26 juin au 8 juillet au Conservatopire de Genève (piano, violon, chant, flûte, hautbois, clarinette et basson étaient représentés lors de cette 1ère édition !).
D’emblée, Genève marqua un très grand coup en couronnant, dans la catégorie piano, un certain Arturo Benedetti-Michelangeli. « C’est un nouveau Liszt », lança Alfred Cortot subjugué ; « votre concours est lancé », glissa Franz-Josef Hirt, autre membre du jury, à H. Gagnebin… Bien vu ! Depuis, Genève a couronné nombre de talents tels que Friedrich Gulda (1946), Teresa Stich-Randall (1951), Maurice André (1955), Martha Argerich (1957), Maurizio Pollini (1958), José van Dam (1964), Christian Zacharias (1969), Tabea Zimmerman (1982), Nelson Goerner (1990), Emmanuel Pahud (1992), Louis Schwizgebel (2005), Quatuor Hermès (2011), Lorenzo Soulès (2012).
 
A tous ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur cette belle aventure musicale et humaine, on ne peut que vivement recommander la lecture de l’ouvrage très complet de Marie Duchêne-Thégarid « Une certaine idée de la musique » (1). « Nous n’avons pas cherché à faire quelque chose d’exceptionnel pour le 75ème anniversaire, explique Didier Schnorhk, Secrétaire général du Concours depuis 1999 (et par ailleurs vice-président de la Fédération Mondiale des Concours Internationaux de Musique depuis 2006), nous avons préféré nous concentrer sur la réalisation de ce livre - et sur la sortie d’un coffret de 5 CD d’archives (2). Le travail de Marie Duchêne-Thégarid est le résultat de quatre années de recherches. J’en savais déjà beaucoup sur le Concours, mais j’ai découvert énormément de choses en collaborant avec elle. Cela a été l’occasion de mieux comprendre ce que nous faisons – le titre, « Une certaine idée de la musique », l’exprime -  et vers où le Concours doit se diriger. Dans tous les cas nous essayons de rester fidèles à l’esprit des fondateurs : trouver des musiciens complets. »
 
Didier Schnorhk considère la situation économique du Concours plutôt avec satisfaction actuellement, mais ne cache par qu’il a connu des moments plus difficiles. « La compétition est financée à hauteur de 40 à 60 % du budget, selon les années, par les autorités publiques, Ville et Etat de Genève, ceci de façon constante depuis l’origine. Le reste doit être trouvé auprès de sponsors – Bréguet est le premier d’entre eux - et impose un immense travail de recherche de fonds. Cela oblige aussi à se réinventer : la création d’un Prix de Composition (le prochain sera décerné en 2015 et l’œuvre primée sera jouée en 2016, lors d’une édition dédié entre autres au quatuor à cordes) a ainsi permis de trouver de nouveaux soutiens »
La crise mondiale de 2008 n’a pas épargné la Suisse et le Concours a traversé une passe délicate jusqu’en 2011 du fait de la contraction de la part des aides privées, mais le sens de l’organisation et la force de conviction des dirigeants de la compétition a permis d’y faire face. Le soin apporté au « suivi » de ses lauréats  (l’agence de concerts genevoise Pro Musica les prend en charge pendant deux ans) n’aura pu que renforcer l’envie de soutenir le Concours.
« Nous trouvons des concerts pour les lauréats, nous mettons en place des tournées, explique D. Schnorhk, comme ça a été le cas il y peu en Chine pour le Quatuor Armida, Premier Prix ex æquo en 2011 avec le Quatuor Hermès. Nous incitons nos lauréats à jouer ensemble. Premier Prix en 2012, le pianiste Lorenzo Soulès s’est produit avec les Armida en Chine il y a quelques mois et sera au côté des Hermès l’an prochain lors d’une tournée en Amérique latine. L’argent que le Concours met à la disposition de Pro Musica est une sorte de bourse destinée à payer, non pas les cachets, mais les frais de déplacement des lauréats. »
 
Le 69ème Concours de Genève se partageait entre la flûte et le piano. N’ayant pu assister à la finale du premier instrument qui s’est tenue le 1er décembre au Victoria Hall (jury présidé par la britannique Emily Beynon), nous nous contenterons de rappeler que le Premier Prix n’a pas été décerné, que le Deuxième a été partagé entre Adriana Ferreira (24 ans, Portugal) et Yubeen Kim (17 ans, Corée du Sud) – ce dernier rafle par ailleurs le Prix du Public et le Prix du Jeune Public -, le Troisième Prix revenant à Elena Badaeva (25 ans, Russie).
 
Au lendemain de l'ultime épreuve de flûte, le moment était venu pour le jury de piano, présidé par Pascal Rogé, de départager quatre finalistes qui avaient rendez-vous avec l’Orchestre de la Suisse Romande (dirigé par Alexander Shelley) devant le public très fourni du Victoria Hall.
 
Le Premier Prix et le Prix du Public sont revenus à Ji-Yeong Mun (18 ans). Coréenne du Sud – une nationalité très bien représentée parmi les 36 pianistes sur la ligne de départ cette année à Genève -, la benjamine de la finale a choisi le Concerto n°4 de Beethoven. Nous n’en ferons pas mystère, l’approche très lisse et consensuelle qu’elle a offert de l’Opus 58 nous a complètement laissé sur notre faim. Il faut sans doute comprendre le choix effectué par le jury comme par le public à la lumière des prestations de la candidate durant les épreuves précédentes. Un pari l’avenir ? C’est lui qui apportera la réponse.
 
Quel tempérament magnifique chez Pallavi Mahidhara (27 ans, Etats-Unis). Frêle et comme sortie d’un conte des Mille et Une Nuits, cette souriante jeune femme aux origines indiennes s’empare du Concerto n° 3 de Prokofiev avec un sacré tempérament. Oublié le contexte du concours ; nous sommes au concert le temps de l’Opus 26 ! Autorité impressionnante face au clavier et dans le dialogue avec l’orchestre, riche palette expressive, remarquable aplomb rythmique : la pianiste montre autant de musicalité que métier – elle a donné son premier concert avec orchestre à 10 ans… Le Deuxième Prix lui revient, tout comme le Prix du Jeune Public.
 
Le Troisième Prix échoit à Honggi Kim (23 ans, Corée du Sud).  4ème Concerto de Beethoven : lumineux et piaffant – un peu trop sans doute – dans l’Allegro moderato initial, sensible et sans pathos dans l’Andante con moto, le pianiste appelle hélas beaucoup de réserves dans un Rondo final manquant de fini, où son jeu se durcit à l’excès.
 
Quatrième finaliste, Igor Andreev (26 ans, Russie) doit se contenter de deux prix spéciaux (Prix Heim et Prix Franck Martin) au terme d’un Concerto n° 2 de Chopin très las, terne et entaché de pas mal de fautes de texte. Musique d’un compositeur au sortir de l’adolescence ; interprète de 26 ans : le résultat en paraît beaucoup plus, comme si un grosse chute de tension se produisait au terme d’un parcours éprouvant.
 
On s’en voudrait de conclure sans tirer un coup de chapeau à l’Orchestre de la Suisse Romande et à Alexander Shelley. Né en 1979, fils du pianiste et chef Howard Shelley, le jeune maestro britannique a été en activité ces dernières saisons à l’Orchestre Symphonique de Nuremberg et prendra la direction musicale de l’Orchestre du Centre National des Arts du Canada à la rentrée 2015. A la tête des instrumentistes suisses, il manifeste un beau sens musical et de précieuses qualités d’écoute envers chacun des finalistes.
 
Alain Cochard
 

(1)« Une certaine idée de la musique, le Concours de Genève 1939-2014 », par Marie Duchêne-Thégarid (Ed. Slatkine, 376 p., 40 CHF)/ www.slatkine.com
(2) "Concours de Genève - 75 years of musical discoveries" / Claves 5CD 50-1411/15
 
Résultats complets du 69ème Concours de Genève sur : www.concoursgeneve.ch
 
Photo ( de g. à dr. : Ji-Yeong Mun, Igor Andreev, Pallavi Mahidhara, Honggi Kim )  © Anne-Laure Lechat

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