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23 rue Couperin au Théâtre de l’Athénée – Inclassable - Compte-rendu

Toujours cheminant hors des sentiers balisés, le théâtre de l’Athénée présente 23 rue Couperin. Ce spectacle créé l’an passé à Genève a tout pour dérouter les habitudes. Et c’est tant mieux ! Conçu par Karim Bel Kacem et sa troupe suisse Think Tank Théâtre (TTT, déjà tout un programme !), il raconte, si l’on peux dire, les déboires de barres HLM de la banlieue d’Amiens promises à une prochaine démolition, au cours de trois séquences : faisant alterner des scènes d’émeute, une large pause musicale et un monologue final évoquant les aléas de ce contexte banlieusard sur un texte de Bel Kacem lui-même en français et en berbère.
 
Puisque ces cités dortoirs, où Bel Kacem a passé son enfance, accueillent la deuxième génération d’immigrants maghrébins. Se succèdent ainsi des feux, pétards, fumées lacrymogènes, cris et autres bruitages enregistrés au-devant de bâtisses composées d’amoncellements en kapla qui s’écroulent comme autant de châteaux de cartes, puis un intermède musical servi par l’ensemble Ictus (lui, venu de Belgique) qui déroule une suite de thèmes empruntés à Couperin, Mozart, Ravel, Debussy ou César Franck, car ces froides tranches d’immeuble portent plaisamment des noms de musiciens, et enfin un discours tempétueux à la charge du comédien Fahmi Guerbâa qui donne la morale peu moralisante de cette histoire sulfureuse au sein de vols de pigeons (cet idyllique quartier corbusien se nommant ironiquement « Le Pigeonnier »). On se prend à songer à Moscou Paradis de Chostakovitch, présenté il y a peu en ce même théâtre (1), mais un « paradis » à la française et dans une façon nettement plus décapante. Un spectacle entre théâtre, performance, installation et musique. Inclassable !

© DR

Le tout parfaitement réglé, y compris pour les pigeons envolés par la grâce de l’éleveur Tristan Plot. Les cinq instrumentistes, alto, flûte, percussions, guitare et piano, distillent des effluves finement évanescentes, dirigées depuis son piano par Alain Franco qui en a composé la partition. Et la brève soirée s’achève comme elle a commencé : suspendue, en forme d’interrogation, à l’instar de ce spectacle étrange. Car l’étrangeté est une forme de vertu en ces temps malheureux ou forcément bienheureux qui courent.
 
Pierre-René Serna

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(1) Lire le compte-rendu :
www.concertclassic.com/article/moscou-paradis-de-chostakovitch-lathenee-tracasseries-et-divertissements-aux-temps
 
23, rue Couperin - Athénée, Théâtre Louis-Jouvet – Paris, 17 mai ; dernière représentation le 19 mai 2018 // www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/23_rue_couperin1.htm

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