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10ème Lille Piano (s) Festival - Sous le signe de Beethoven - Compte-rendu

En ouverture du 10ème Lille Piano(s) Festival, étaient invités deux lauréats du récent Concours Reine Elisabeth 2013. La Chinoise Zhan Zuo (24 ans, 5ème Prix), possède des moyens digitaux impressionnants. Dans le Concerto n°1 de Liszt, elle fait preuve d’assurance sans pour autant totalement maîtriser la construction de l’œuvre ; de beaux moments ne peuvent faire oublier un relatif manque d’unité organique. Le Russe Stanislav Khristenko (29 ans, 4ème Prix,) insuffle pour sa part au Concerto n°3 de Rachmaninov une énergie très communicative. La fluidité de son jeu à la fois souple et coloré, est contrariée par les interventions trop sonores d’un Orchestre Philharmonique Royal de Liège qui, malgré la battue sûre de Patrick Davin, n’a pas pris la véritable dimension de l’acoustique de l’Auditorium entièrement rénové du Nouveau Siècle. C’est d’autant plus dommage que le soliste a des choses intéressantes à dire.

Evénement et fil rouge du week-end, l’intégrale des cinq Concertos de Beethoven par François-Frédéric Guy, (photo) à la fois soliste et chef dans les Concertos nos 1 et 2, démarre sous les meilleurs auspices. Pris à bras-le-corps, les Opus 15 et 19 affichent une allure conquérante. Très à l’aise à la tête de l’Orchestre National de Lille, le pianiste interprète ces pages fameuses avec une fraîcheur décapante, comme s’il faisait de la musique de chambre. Intensité jaillissante du geste, émotion à fleur de peau : une telle option donne un coup de fouet revigorant aux œuvres !

Rejoint par Jean-Claude Casadesus à partir du Concerto n°3, François-Frédéric Guy démontre à quel point le travail en profondeur qu’il mène depuis des années sur la musique de Beethoven porte ses fruits dans une conception à la fois architecturée et fluide, virile et d’une grande pertinence stylistique. Comment ne pas être immédiatement séduit par la vitalité et le classicisme impatient, débordant de prémices du Concerto en ut mineur ? Le Concerto n°4 atteint sa cible dans le mille par la justesse des tempos (Allegro lyrique et amplement respiré, Andante allant comme l’exige le con moto, Rondo d’un lumineux élan dénué de précipitation) et la qualité du dialogue qui unit le pianiste à un chef resplendissant de tonus et de bonheur dans la superbe salle (1750 places) qu’il a - enfin ! - à sa disposition. La vie des musiciens lillois a complètement changé depuis qu’ils bénéficient de cette acoustique naturelle, spatialisée, claire sans être sèche ni radiographique. Pour ceux qui, comme nous, avaient en mémoire l’ancienne salle du Nouveau Siècle, bien triste, la surprise est de taille – tant d’un point de vue sonore qu’esthétique.

On prend toute la mesure du changement en entendant se déployer le Concerto n°5. Parvenu au bout de son « marathon », le pianiste puise l’énergie au plus profond de lui-même. La performance physique et intellectuelle que constitue dans ce contexte « L’Empereur » ajoute à la séduction d’une interprétation ardente et au souffle large, qui flamboie tout en prenant le temps de sculpter la phrase sur le beau CFX Yamaha dont l’Orchestre de Lille vient de faire l’acquisition et que François-Frédéric Guy étrenne avec son cycle Beethoven. Tendre et innocente Lettre à Elise en bis et applaudissements enthousiastes d’un Auditorium plein à craquer comme depuis le commencement de l’intégrale. Un jalon important sur le parcours d’un artiste qui, le 28 janvier prochain, donne son premier récital au Théâtre de Champs-Elysées. Programme entièrement beethovenien (« Pastorale », « Clair de lune », « Hammerklavier »), nul ne s’en étonnera.

La musique allemande aura été gâtée lors du 10ème Piano(s) Festival lillois. Outre l’intégrale Beethoven de François-Frédéric Guy, on a pu aussi découvrir, sur la scène Fondation BNP Paribas du Théâtre du Nord, L’Art de la fugue par un pianiste bien trop rare dans les salles françaises : Cédric Pescia (né en 1976). Lors de l’énoncé du thème du Premier Contrepoint, l’artiste franco-suisse semble glisser amicalement à l’auditeur « Viens, je vais te montrer comme c’est beau». A d’autres l’aridité, l’intellectualisme grisâtre, les pianos qui jouent Bach en n’osant pas être des pianos. On adhère sans réserve à cette conception sensible, incarnée, aussi riche poétiquement que stupéfiante de maîtrise et de lisibilité. Sur le clavier, les mains de Pescia semblent chorégraphier l’harmonie des sphères. Aux moment des saluts, le visage de l’interprète, littéralement « vidé », en dit long sur la manière dont il s’est investi, corps et âme, dans la musique du Cantor…Une moment d’exception.

Le Théâtre du Nord aura aussi permis de retrouver Guillaume Vincent dans un programme associant la Sonate « Les Quatre Âges » d’Alkan et des préludes de Rachmaninov. Le bicentenaire de la naissance du pianiste compositeur français est l’occasion de reprendre la mesure d’un auteur dont la virtuosité a souvent été mal comprise. Parfaitement maître de son sujet, Vincent dépasse continûment la difficulté technique de l’Opus 33 pour offrir une interprétation aussi dense que caractérisée, de la fougue des 20 ans au « Prométhée enchaîné » des 50 ans. On ne résiste pas moins aux Préludes op 32 nos 9 à 13 du Russe, dont le jeune pianiste souligne les beautés avec autant de pudique noblesse que d’imagination sonore.

Plus tard dans la soirée, Nikolaï Demidenko s’attaque à un programme Bach/Liszt et Bach/ Busoni. Déception que ce récital où – passons sur d’assez nombreuses scories – l’interprète, à l’évidence en petite forme, se cantonne à une conception bien sage et terne. La Chaconne réinventée par Busoni exige du souffle, une vraie « prise de pouvoir » ! Las, point de cathédrale sonore mais une prudence, très prosaïque.

Les duos étaient très présents à Lille cette année et, parmi eux, celui formé par Guillaume Coppola et Hervé Billaut dont le programme à quatre mains a fait le bonheur du public au Conservatoire. Poétique, tendre et piquante, jamais salonnarde ou compassée, la suite Dolly de Fauré ouvre de savoureuse manière un moment de parfaite complicité. Il se prolonge par les Valses op 39 de Brahms et trois des Danses slaves de Dvorak dont le naturel et la fraîcheur parfumée conviennent idéalement à un concert placé le dimanche en fin de matinée. Hervé Billaut et Guillaume Coppola ont déjà chacun de beaux CD à leur actif : pareille entente appelle un enregistrement en duo !

Complicité aussi, musique de chambre aurait-on presque envie d’écrire, avec le tandem formé par le comédien Didier Sandre et François Chaplin au clavier. Textes aussi judicieusement choisis que des pièces de Poulenc, Grieg, Chopin, Fauré, Satie, Debussy et Mozart dessinent un portrait attachant de l’auteur des Biches. Un hommage émouvant et drôle, très fidèle à l’esprit du musicien libre que Claude Rostand qualifia de « moine et voyou ».

Michel Le Naour (Lauréats du Concours Reine Elisabeth, Concertos nos 1 et 2 de Beethoven)
&
Alain Cochard (autres concerts)

Lille, Nouveau Siècle, Théâtre du Nord, Auditorium du Conservatoire, les 14, 15 et 16 juin 2013

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Photo : Ugo Ponte
 

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