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« La recherche de beautés enfouies n’a pas de fin » - 3 Questions à l’Ensemble Providencia


A la Renaissance, les riches polyphonies flamandes pénètrent toutes les cours européennes qui se disputent les compositeurs les plus prestigieux, dont Josquin des Prés, originaire de Condé sur l’Escaut.
Or, l’on sait moins que les mélodies de plain-chant nées dans la région de l’Escaut et de son affluent la Scarpe ont constitué, au fil des siècles, l’un des plus riches répertoires monodiques du Nord et certainement l’un des moins connus. Providencia s’emploie à faire revivre ce patrimoine. L’ensemble offre pour la première fois au public des monodies nées dans les abbayes du Nord à côté de polyphonies où, dès le XIIème siècle, apparaît le « nouveau style », terme des musicologues désignant une certaine indépendance des deux voix qui cessent d’être strictement parallèles.

La beauté de ces mélodies liturgiques, la forte spécificité de leur écriture suscitent l’enthousiasme. Après une répétition, nous avons abordé les deux « têtes chercheuses » de Providencia : Maria-Andrea Parias et Sarah Richards.


Vous avez cofondé Providencia en 2006 avec vos partenaires. Pouvez-vous nous dire ce qui le caractérise et comment s’élabore votre travail ?


Maria-Andrea PARIAS : A géométrie variable, à dominante féminine, l’ensemble est composé de quatre, cinq ou six chanteurs et chanteuses rompus aux techniques du chant médiéval. Nous explorons en particulier la partie du patrimoine médiéval qui reste à étudier. Sarah Richards et moi-même avons une double formation; en effet, partir d’un manuscrit pour aller jusqu’à son exécution exige des connaissances théoriques approfondies et un long apprentissage du chant. Sarah et moi nous sommes rencontrées à la Sorbonne où nous avons étudié sous la direction de K.Livljanic et de B. Bagby. Sarah a travaillé avec l’Ensemble Obsidienne. Quant à moi, me suis également formée au CNSM de Paris et à la Schola Cantorum de Bâle que je fréquente régulièrement. Les autres membres sont issus de la Schola Cantorum de Bâle et de la Maîtrise de Notre-Dame de Paris.



Pourquoi la région de l’Escaut fut-elle si profuse en matière de chant liturgique ?
Est-ce là la manifestation d’un pouvoir princier ou religieux ?



Sarah RICHARDS :
Non, pas du tout. Ces musiques proviennent d’abbayes fondées au moment de la christianisation de la région par saint Amand et ses émules, saint Vaast, saint Eloi, pour ne citer qu’eux, dès le VIIème siècle.

C’est à cette époque qu’est fondée la fameuse abbaye de Marchiennes par sainte Rictrude. Comme dans les autres abbayes, le culte des saints locaux enrichit le répertoire de façon continue. On y trouve, ce qui est particulièrement intéressant, des Offices historiques où se trouvent des vies de saints mises en musique. Les chants de l’abbaye de Marchiennes et de ses soeurs voisines se différencient nettement de ceux des autres régions européennes.
Enfin, ils constituent un répertoire unique, ce qui est très rare.

Pour toutes ces raisons, ce corpus témoigne de la capacité d’invention de ces hauts lieux chrétiens.

Ces grandes abbayes ont été détruites à la Révolution. Le patrimoine musical de Marchiennes, heureusement sauvegardé, se trouve conservé dans les bibliothèques municipales de Douai et de Valenciennes. Vaste corpus qui fait l’objet de nos investigations. La recherche de beautés enfouies n’a pas de fin : elle pique notre curiosité et nous sommes insatiables !


Comment transmettez-vous cet héritage et, plus généralement, la connaissance des musiques médiévales ?


M .-A. P. : Notre action consiste d’une part en création de programmes de concert (cinq programmes différents), enregistrement de disques, production de concerts-conférences, d’autre part en actions pédagogiques dans les collèges, actions qui rencontrent un immense succès. Nous nous produisons en France, en Suisse et bientôt en Belgique. Notre maison de disques, TACET, est allemande. Providencia existe en tant qu’association ayant son siège près de Lille, à La Madeleine, subventionnée par la région Nord - Pas de Calais et la Drac-Nord.
Dans l’immédiat, nous donnerons un autre concert, même programme, au foyer de l’Opéra de Lille, le 30 Novembre 2011. Notre premier disque « Crossing the Channel » sort début 2012. Nous y explorons les riches échanges musicaux entre la France et l’Angleterre ayant eu lieu entre le XIe et le XIIIe siècle. Le suivant, « Terre de saints », devrait être enregistré en 2012.




Propos recueillis par Françoise Ferrand, le 6 octobre 2011





Photo: De gauche à droite, Stéphanie Leclercq, Maria Andrea Parias, Hanna Jarvelaïnen et Sarah Richards




« Terre de saints. Musiques des abbayes du Nord de la France »

Ensemble Providencia

Les 21 et 22 octobre 2011 – 19h

Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge

6, place Paul Painlevé

Paris – 75005

Rens : http://www.musee-moyenage.fr/pages/page_id18492_u1l2.htm

01 53 73 78 16


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Photo : DR

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