Journal
Festival de danse de Cannes-Côte d’Azur – Etincelles sur la croisette – Compte-rendu

24 compagnies dont 13 venues de loin, 50 rendez-vous, des chiffres que n’ont pas manqué d’égrener les organisateurs de la manifestation, et notamment Didier Deschamps, son directeur artistique, qui lui donne un souffle novateur tout en préservant quelques valeurs essentielles de l’art de danser et en posant les bonnes questions. Et joyeuse nouvelle, le maire de Cannes, David Lisnard, très engagé culturellement, a décidé de rendre le festival annuel et non plus biannuel, ce qui donne la mesure de son succès. Plus de deux semaines donc, pendant lesquelles la danse court, sous toutes ses formes, de la sacrosainte croisette à des lieux plus modestes ou voisins, pénétrant ainsi intimement dans le tissu urbain de la cité et de ses alentours, d’Antibes et Grasse à Mougins. Une nappe qui s’étend irrésistiblement, comme une marée douce, mais violente aussi par ses thématiques, ses performances, ses cris existentiels, ses origines bigarrées, ses sensibilités contrastées.
Diversité du propos
Avant d’évoquer quelques points majeurs, il faut souligner, à l’actif de la manifestation, sa pluralité, son désir de drainer des énergies nouvelles , d’ouvrir d’autres champs : plusieurs créations, comme il se doit, mais des initiatives autres, ainsi avec une compétition de courts métrages de danse, des spectacles itinérants, touchant notamment des écoles, l’appel à de jeunes mais déjà confirmés talents chorégraphiques, comme le Cannes Jeune Ballet Rosella Hightower, le Junior Ballet de l’Opéra de Paris ou les lauréats du Concours Prospettiva Danza Teatro de Padoue. Ou encore, inversant la donne danse- cinéma, avec l’adaptation à la scène, grâce à la Compagnie l’Impromptu, du célèbre film d’animation Le Roi et l’Oiseau, chef d’œuvre de Paul Grimault, en 1980.

Afanador - Ballet national d'Espagne © Merche Burgos
La force d’un flamenco renouvelé
Mais si le festival se clôturera sur une performance attendue du prestigieux Nederlands Dans Theater-NDT2, on ne peut que dire et redire combien le Ballet National d’Espagne a frappé, fasciné, envoûté les spectateurs lors de son spectacle Afanador (photos ci-dessus), qui ouvrait les festivités. Il faut désormais compter avec l’ibérique Marcos Morau, comme avec l’une des plus originales et troublantes signatures de la danse d’aujourd’hui. Certes, la troupe madrilène fonde sa gestique sur les bases du flamenco, mais quel flamenco ! Morau, dont on n’ose se glisser dans l’imaginaire, tant il doit être complexe, a collé ses gestes syncopés, tranchés, secs, géométriques, à la vision étrange du photographe Ruben Afanador, dont le graphisme noir et désossé, évoque une démarche surréaliste. Phénoménale, en quasi ouverture, la séquence où les danseurs laissent seulement voir leurs jambes, rideau à moitié baissé, en martelant le sol, comme il est habituel dans le flamenco.
Puis une vaste fresque se déroule, portée par une énergie débridée, sinistre, mais d’une beauté foudroyante par l’originalité des tableaux qui s’enchaînent et où les danseurs s’intègrent parfois à la photo projetée, au point qu’on ne sait plus s’ils sont hommes, images ou idées. Fantastique solo d’un ange noir vers la fin, qui n’a rien d’Icare, mais plutôt de quelque Lucifer. Le tout sur une musique lancinante, signée de Juan Cristobal Saavedra. On en sort écrasé par la dureté du propos, la perfection des danseurs, contraints à une gestique d’une terrible rigueur. Il est bon de les entendre ensuite rire et bavarder comme les jeunes gens pleins de vie qu’ils sont, après cette angoissante danse macabre. Le rigoureux et rebelle Antonio Gadès , premier directeur de la troupe, dont certains ballets ressemblaient à des tracés de Mondrian, aurait sûrement aimé ces étincelles de glace.

Afanador - Ballet national d'Espagne © Merche Burgos
L’image du temps
Connotation flamenca encore avec l’étrange et toujours provocante Rocio Molina, qui n’a plus rien à voir avec les danseuses qui enchantaient les touristes autrefois, belles découvertes avec les lauréats du fameux concours Prospettiva Danza Teatro , parmi lesquels on a pu découvrir entre autres le duo d’ un couple étonnant, vertigineux dans ses portés et ses glissades, prenant des risques certains, en se roulant dans une mare liquide, aux odeurs et couleurs de café, mais porteurs d’une forte quête humaine. Ces deux prodigieux danseurs, la portugaise Beatriz Mira et le brésilien Tiago Barreiros, parlent du corps avec leurs corps, comme murés dans cette problématique gestuelle, et l’on attendrait de ces jeunes gens aux allures de mutants tant ils sont souples et inattendus dans leurs élans et leur portés étranges, un peu de joie de vivre, d’aspiration à un ailleurs, de rêve . L’heure est ainsi, désespérée même dans ses duos amoureux, et en cela révélatrice d’un douloureux manque contemporain. Elle est témoin de son temps, et parle haut et fort dans ce Festival qui lui donne carte blanche.
Jacqueline Thuilleux

Cannes et alentours, les 22 et 23 novembre 2025. Festival jusqu’au 7 décembre 2025.
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