Si vous n’aimez ni les contre-ténors ni leur répertoire, ce disque pourrait vous faire changer d’avis. Bien sûr, Beethoven ne pensa sans doute jamais à une voix de castrat pour interpréter ses lieder, pas plus que Mozart ou Haydn. Cela dit, ces trois compositeurs vécurent à une époque où les artistes issus de l’école napolitaine étaient encore en pleine activité ou brillaient de leurs derniers feux. Contrairement à ce qui se passe quand un contre-ténor s’empare des mélodies de Fauré ou de Debussy, il n’y a donc pas véritablement de discordance historique à ce qu’une voix de ce genre chante des pièces composées entre 1775 et 1810, l’époque des Guadagni, Crescentini et Rauzzini.

 
En l’excellente compagnie d’Anna Paradiso

La démarche de Nicolò Balducci (photo) est donc assez légitime, et il faut avouer que le contre-ténor italien défend son projet de manière tout à fait convaincante. Précisons d’embler qu’il est admirablement secondé par sa compatriote la pianofortiste Anna Paradiso, qui lui fournit un accompagnement parfaitement idoine, par sa totale adéquation stylistique : si la voix est inattendue, les instruments – un Broadwood de 1802 et un piano carré suédois de 1797 – sont ce que l’on peut imaginer de plus proche de ce que les compositeurs eux-mêmes purent entendre. Et le jeu d’Anna Paradiso sait à merveille varier les couleurs pour s’adapter à la sensibilité de chaque morceau, balayant toutes les idées préconçues qui pourraient encore prévaloir quant à la qualité de cet ancêtre des pianos modernes.

Timbre séduisant, souplesse et fermeté

Quant au chanteur, il a su s’approprier ce répertoire germanique, qui lui fait parcourir avec aisance quatre langues, l’allemand bien sûr, mais aussi l’anglais pour Haydn, le français et l’italien pour Mozart et Beethoven. Le timbre est séduisant et l’artiste n’a pas besoin des artifices de l’opéra pour conquérir l’auditeur, même dans des pages aussi connues que « Abendempfindung » ou « Adelaide ». L’oreille se laisse porter par cette voix souple et ferme, qui pourrait être féminine et qui ne se prive pas d’orner la ligne mélodique, et pas seulement lors des reprises (voir en particulier « Ridente la calma », particulièrement enrichi de notes d’agrément), ce qui va un peu à l’encontre des usages dans l’univers des lieder, mais qui semble ici se justifier parfaitement puisqu’il est désormais admis à l’opéra. Pour autant, le contre-ténor ne se croit pas sur une scène de théâtre, et respecte le caractère intime et salonnier de ces œuvres. Et la réelle variété de ces pièces, de la galanterie badine à la sombre introspection, évite toute monotonie, risque d’autant plus éludé qu’Anna Paradiso est mise en vedette par l’Adagio KV 540 de Mozart et la Sonate n° 61, Hob. XVI/51 de Haydn.

 
« Trois Contre-Ténors » à Versailles, Uzès et Lyon
 
Une réussite qui attise l’envie d’écouter l’artiste italien en public. Ce sera possible dès 10 décembre à l’Opéra Royal de Versailles (1) à l’occasion d’un concert « Les Trois Contre-Ténors » réunissant Nicolò Balducci, Paul-Antoine Bénos-Djian et Rémy Brès-Feuillet dans des pages de Haendel, Vivaldi et Porpora. Dirigée par Stefan Plewniak, à la tête de l’orchestre de l’Opéra Royal, cette soirée bénéficiera en outre de la participation du contre-ténor Vojtěch Pelka, 2e prix et prix du public du Concours Renata Tebaldi 2025. (2)
Plewniak et les musiciens versaillais seront de retour le 10 janvier, aux Nuits Musicales d’Uzès (3), pour un nouveau « Trois Contre-Ténors » réunissant cette fois Balducci, Théo Imart et Logan Lopez Gonzalez. On retrouvera les mêmes, dès le lendemain à Lyon, dans la série Les Grands Concerts. (3)
 
Laurent Bury