Journal
Simon Rattle dirige l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise à la Philharmonie – Profonde entente – Compte rendu

Un orchestre enfiévré, un chef vertigineux, une salle déchaînée, soirée incandescente que celle vécue avec le Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks et Sir Simon Rattle, son chef principal depuis 2023 : l’alliance est soudée, assurément, et il est bon de voir à quel point le charisme et la virtuosité analytique du chef, qui semblaient s’être un peu atténués avec le London Symphony Orchestra, après son départ de Berlin, sont aujourd’hui aussi ravageurs et pétillants d’intelligence.
La musique, chemin vers l’autre
L’art de Rattle de pénétrer le profil de chaque compositeur, de l’écouter intensément, de se glisser dans l’orchestre, de le faire miroiter, de le mener à l’échafaud ou au ciel est proprement unique. Lui, qui, nourri de Gandhi et de Luther King par ses parents, déclarait tout de même qu’en dirigeant une Passion de Bach, on ne peut pas ne pas croire en Dieu ! En fait, Sir Simon croit en la musique, elle est son chemin vers l’autre, et les facettes de ce concert si contrasté dans ses horizons l’ont bien montré.

Comme une bataille contre le sort
De Schumann et de sa prodigieuse 2e Symphonie op.61, née dans la douleur, ce qui n’est pas très original chez Schumann, il a d’emblée fait ressortir la violence de la folie sous-jacente, attaquant le premier mouvement en douceur puis très vite en faisant exploser les angoisses, les tensions, les cris désespérés. La battue était serrée, stressée, les rythmes férocement soutenus, comme une bataille contre le sort ! A la fois alerte, étrange, enivrée de ses obsessions, l’infernale galopade de Schumann était calmée par un 3e mouvement qui est l’un des chefs-d’œuvre du compositeur, cet Adagio espressivo où, prenant la suite des violons, le hautbois planait du haut d’un ciel inaccessible. Tandis que le thème, lancinant, devenait sous la baguette de Rattle et les merveilleuses cordes, les bois exceptionnels de l’orchestre, comme le vol d’un grand oiseau blessé tournoyant sur lui-même, avant de lancer dans un finale déchaîné, hymnique, germanique au plus haut point, avec une parfaite tenue d’axe.

Un canevas d’une miraculeuse variété
Mais le sommet restait à venir, avec un Oiseau de Feu jubilatoire, où Stravinski, peu enclin à l’émotion, mais jeune et encore attaché à son terroir de contes et à son maître Rimski-Korsakov, mort deux ans avant( et auquel la partition est dédiée), tissait un canevas d’une miraculeuse variété de sons, de cassures, d’envols, de caresses, de piqûres, d’alertes, de coups de boutoir, qui font que plongés dans un univers mirifique, on reçoit la musique comme une succession de sollicitations délirantes. Sans la moindre partition, Rattle, avec sa vivacité de lutin et son énergie d’ancien percussionniste, a enchaîné toutes ces saynètes scintillantes, avec tout de même des séquences poétiques, comme un enchanteur Merlin faisant danser le monde. Fascinante, la Berceuse de l’Oiseau de Feu, suffocante la Danse infernale des sujets de Kastchei, rutilante l’Allégresse générale quand le sortilège du conte russe se dénoue. Mais ne finit pas pour le public, suspendu à chaque intonation de l’orchestre, déroulant la richesse de ses formidables pupitres comme une tapisserie, et qui aurait bien plongé un moment encore dans cet univers magique, bien que la durée en soit longue (45 minutes).
Des artistes en présence, prestigieux orchestre, chef de légende, on sait les superbes réussites, chacun dans sa sphère, mais leur union produit ici un véritable feu d’artifice, qui dit leur profonde entente. "Goûtez ce que nous jouons", a coutume de dire le chef à ses musiciens. Message reçu !
Jacqueline Thuilleux

Paris Philharmonie, 14 novembre 2025
© O. Bertrand - Philharmonie de Paris
Derniers articles
-
19 Novembre 2025Alain COCHARD
-
19 Novembre 2025Vincent BOREL
-
19 Novembre 2025Laurent BURY







