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Une interview de Jérôme Chabannes, fondateur et directeur artistique de Piano à Lyon – "J’aime aider les artistes à développer leur carrière"

 
 
La série Piano à Lyon a franchi le cap de ses 20 ans d’existence l’an dernier. Après David Fray et Lucas Debargue, la 21e saison se poursuit avec des rendez-vous attendus : un récital de Bruce Liu le 23 novembre dans des pages de Tchaïkovski, Scriabine et Prokofiev, puis, le 3 décembre, un programme de musique de chambre Rachmaninoff, Mendelssohn et Chostakovitch réunissant Gautier Capuçon et un jeune pianiste en plein envol : Gabriel Durliat. Le prélude à un mois très riche puisqu’il verra aussi se produire Rafal Blechaz le 12 décembre, avec Schubert et Chopin, et Alexandre Tharaud, le 17 décembre, dans Mozart, Rameau, Poulenc et la chanson française. On a profité de cette actualité pour interroger Jérôme Chabannes
(photo), fondateur et directeur artistique de Piano à Lyon. Histoire d’une petite saison vite devenue grande et désormais incontournable dans le paysage musical de la capitale des Gaules ...

 
 

La salle Molière © Piano à Lyon 

 
Comment est née la saison Piano à Lyon ; comment a-t-elle évolué depuis sa création ?
 
 
Mon idée de départ était de créer un troisième pôle musical à Lyon, à côté de l’Opéra et de l’Orchestre, dans un lieu tout particulièrement destiné au piano et à la musique de chambre : la salle Molière. J’avais envie de proposer une programmation complémentaire de celle de l’Orchestre et de l’Opéra, dans un lieu que je souhaitais remettre au goût du jour avec une activité musicale menée de façon professionnelle – avec une vraie communication, etc. Bref, proposer une saison où tous les amateurs de piano pourraient venir entendre et les jeunes artistes et les grandes stars – et surtout des artistes qui font de grandes carrières internationales et que l’on n’entend pas ou peu en France.

> Les prochains concerts de piano en Rhône-Alpes <

 

© Thomas Manillier

Martha Argerich & Jérôme Chabannes ( M. Argerich se produira salle Molière, au côté de Dong Hyek Lim, les 22 & 23 avril 2026) © Thomas Manillier

 
Les choses ont commencé modestement, avec cinq concerts  seulement car je n’avais pas de licence de concert au départ. Je l’ai obtenue à partir de la deuxième saison. Mais le succès avait été au rendez-vous dès la première, au cours de laquelle nous avons enregistré en live le tout premier disque de Bertrand Chamayou pour Sony : l’intégrale des Etudes d’exécution transcendante de Liszt. Et, en me remémorant cette époque, je n’oublie par le soutien précieux que Patrice Beghain, adjoint à la culture, a alors apporté à Piano à Lyon.

Depuis vingt ans nous avons accueilli quantité de stars : Mikhail Pletnev, Nelson Freire, Martha Argerich, avec laquelle une vraie fidélité s’est nouée, Aldo Ciccolini, pour l'un de ses tout derniers récitals, Katia et Marielle Labèque, Piotr Anderszewski, Nicholas Angelich, Ivo Pogorelich, Elisabeth Leonskaja, Nikolaï Lugansky, etc.  
Piano à Lyon a vu aussi les débuts de tous ceux qui comptent aujourd’hui : Bertrand Chamayou bien sûr, mais aussi Yuja Wang ou Daniil Trifonov par exemple. Je me souviens d’un coup de fil de Nelson Freire, qui venait de découvrir Trifonov dans un concours : « engage-le sans attendre, m’avait-il dit, dans un an ou deux ce sera trop tard » ...  Et si Renaud Capuçon commençait à être connu en 2005, Gautier en était encore à ses tout débuts. J’ai aussi reçu Katia Buniatishvili dès le commencement de sa carrière ; une artiste qui est restée très fidèle à Piano à Lyon, au même titre que Renaud et Gautier Capuçon.

 

Joseph Moog, en récital salle Molière le 4 février 2026 © Thommy Mardo

 
Venons-en à la saison 2025-2026, forte de 16 dates au total. Outre la salle Molière, qui reste votre port d’attache, on relève des concerts à l’Opéra de Lyon et au Musée Jean Couty ...

 
La diversification des lieux s’explique par la fermeture de salle Molière pour travaux de remise aux normes. Elle est intervenue sur la saison 2022-2023, ce qui m’a amené à développer des partenariats avec l’Opéra de Lyon – où a eu lieu le récital inaugural de David Fray le 16 octobre dernier, et où nous reviendrons pour Bruce Liu, Alexandre Tharaud et Sophia Liu en clôture de saison – et le Musée Jean Couty. Il s’agit d’un lieu dédié à un grand peintre lyonnais du XXème siècle, que nous aménageons complètement : la jauge réduite (150 places) fait que nous doublons systématiquement les concerts pour arriver à nombre de places correct. Un lieu intimiste, qui se prête très bien à la musique de chambre et où je fais jouer des artistes plutôt jeunes : le Trio Pantoum s’y produira les 30 et 31 mars.
 
Quant aux découvertes de la saison, nous recevrons Joseph Moog (1), Révélation des Sommets Musicaux de Gstaad, dont la carrière a été lancée par de nombreux succès dans la série des grands maîtres au Concertgebouw d’Amsterdam, « Meesterpianisten ». Il vient de se produire en récital à Mainz, et avec le Royal Prague Philharmonic à Zurich et Baden-Baden. Il sera prochainement soliste du MDR Sinfonieorchester dirigé par Dennis Russell Davies au Gewandhaus Leipzig ; c’est un pianiste à l’immense carrière internationale mais que nous découvrons seulement en France. Autre curiosité, le duo formé par Pavel Kolesnikov et Samson Tsoy, deux artistes rares qui ont enregistré un très beau disque autour de la Fantaisie à quatre mains de Schubert chez Harmonia Mundi, au programme de leur récital salle Molière le 16 janvier. Quant à Rafal Blechacz, il est aussi une star à l’étranger, 1er prix du Concours Chopin 2005 oblige, mais que seuls les parisiens peuvent applaudir de temps à autre. Piano à Lyon va rattraper cette injustice ! Sa venue à la salle Molière est un événement de cette fin d’année et son récital affiche bientôt complet.

 

Le Trio Pantoum, en concert au Musée Jean Couty les 30 et 31 mars 2026 © Clément Pimenta

 
 
On vous connaît en tant que directeur artistique de Piano à Lyon, mais ce n’est pas votre seule activité ...
 
Mon premier métier était agent artistique puisque j’ai commencé comme stagiaire chez Musicaglotz. J’aime aider les artistes à développer leur carrière. Dans cet esprit, j’ai voulu me servir de Piano à Lyon comme d’un tremplin  pour convaincre d’autres organisateurs d’engager les artistes que je présente dans ma saison. En vingt ans, Piano à Lyon est devenu un peu une référence et beaucoup de festivals et d’organisateurs regardent ma programmation et s’en inspirent.
Compte tenu des impératifs d’autofinancement de ma saison, j’ai été amené à développer la production de concerts pour divers organisateurs et ... à retrouver ma casquette d’agent, en me consacrant surtout aux jeunes interprètes.
Edgar Moreau et Sélim Mazari par exemple – que l’on entendra le 25 février à la salle Molière – se connaissaient depuis très longtemps, mais n’avaient jamais encore joué en ensemble. C’est moi qui ai organisé leur premier concert, il y a deux ans, aux Jeudis Musicaux de Royan. Une rencontre particulièrement réussie, qui m’a donné envie de les programmer cette année. Un mois avant Lyon, ils se produiront en Suisse, au Festival Musique & Neige des Diablerets (le 26 janvier).
Parmi mes autres collaborations importantes il faut mentionner le Grand Théâtre de Provence, le Festival Chopin de Nohant, Le Vague Classique à Six-Fours-les-Plages, festival qui recevra cet été Joseph Moog – une preuve de confiance car si ce dernier est un pianiste admirable, il n’est encore une fois pas encore très connu en France.

 

Avec Sophia Liu, qui se produira en clôture de saison à l'Opéra de Lyon, le 11 mai 2026 © Thomas Manillier

 
Vous avez auparavant fait référence au tout premier enregistrement de Bertrand Chamayou capté en décembre 2005 à la salle Molière et sorti chez Sony : qu’en est-il de vos activités dans le domaine discographique ?
 
A l’époque, de par mon expérience au Festival de l’Empéri aux côtés de Paul Meyer, Eric Le Sage et Emmanuel Pahud, et fort de mes relations avec l’ingénieur du son Jean-Marc Laisné, j’avais commencé à produire des disques pour Sony. Il y a eu d’abord le Liszt de Bertrand Chamayou, puis le récital « Impressões seresteiras » de Wilhem Latchoumia, réalisé à la suite de son prix au Concours international d’Orléans en 2006. J’ai par ailleurs beaucoup soutenu Michel Dalberto et ai produit son disque Liszt/Scriabine (Sony), puis un album Beethoven, enregistré en public à Piano à Lyon et publié, lui, chez La Dolce Volta – un double CD très bien accueilli par la critique. Les enregistrements ne sont pas forcément réalisés sur le vif et c’est parallèlement à un récital de Sélim Mazari à Lyon que son tout premier disque, autour de variations de Beethoven, a été capté salle Molière pour Mirare. Mirare chez qui vient de sortir récemment un autre disque impliquant Piano à Lyon : le tout premier enregistrement (Chopin/Liszt) de la jeune Sophia Liu.
 
Quid de la situation financière de Piano à Lyon, des soutiens dont votre saison peut bénéficier ?
 
Compte-tenu des difficultés qui se présentent aujourd’hui et de l’absence de soutien des partenaires publics, j’ai eu la chance de pouvoir compter sur la générosité d’un fidèle abonné, Robert Piccolo, qui offre désormais un accompagnement financier à Piano à Lyon. Je me félicite aussi de la signature d’une première convention avec la Société Générale en Rhône-Alpes, un soutien financier et un soutien aux jeunes artistes aussi car ils réservent une salle presque entière au Musée Couty pour le concert du Trio Pantoum. Enfin, pour continuer à faire en sorte que Piano à Lyon demeure la saison de référence qu’elle est salle Molière, je me réjouis du soutien de la Mairie de Lyon et de sa première adjointe en charge de la Culture, qui se traduit par des mises à disposition gratuites pour quelque dates de la salle.
 
Propos recueillis par Alain Cochard le 31 octobre 2025
 

> Les prochains concerts "Piano à Lyon" <

(1) Joseph Moog dont Concertclassic n'avait pas manqué de vous signaler les qualités dès ses premières apparitions à Paris en 2015 et 2016 :

 www.concertclassic.com/article/joseph-moog-et-lorchestre-lamoureux-pianiste-suivre-compte-rendu

www.concertclassic.com/article/joseph-moog-en-recital-lauditorium-du-louvre-un-premier-recital-parisien-remarque-compte

Saison Piano à Lyon 2025/2026 :
www.pianoalyon.com/

Photo : Jérôme Chabannes © S. Dannreuther
 

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