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Les Archives du Siècle Romantique (96) – Quand Valentin apparaît dans une soupière (extrait du livret du Petit Faust d’Hervé – 1869)

Pierre Boulez beaucoup, Erik Satie, Luciano Berio un peu, Marius Constant quasi rien : les anniversaires de 2025 ont été diversement fêtés. Mais il en est un autre qui, pour l’heure, n’a guère été mis en lumière : le bicentenaire de la naissance du « compositeur toqué ». C’est en effet en 1825, à Houdain, qu'Hervé (Florimond Ronger pour l’état civil) vit le jour, l’autre grande figure de l'opérette de son temps avec Jacques Offenbach (1819-1880).
Le Palazzetto Bru Zane – qui a depuis longtemps fait entrer la musique légère dans son champ d’investigation – n’aura pas attendu 2025 pour faire honneur à Hervé, différentes productions scéniques (Les Chevaliers de la Table Ronde, Mam’zelle Nitouche, V’la dans l’œil, etc.) et publications (« Hervé par lui-même », « Hervé entre France et Angleterre ») en témoignent, sans parler des très nombreux documents librement accessibles sur la précieuse bruzanemediabase.
Le Petits Faust aux bons soins des "Frivos" et de Sol Espeche
Comme on pouvait s’y attendre, le PBZ est au rendez-vous du bicentenaire Hervé avec une production d’un ouvrage qui a beaucoup fait pour la réputation de son auteur : Le Petit Faust. On la découvrira à l’Opéra de Tours les 16 et 18 novembre puis, après un passage l’Opéra de Reims les 29 et 30 novembre, elle occupera la scène du théâtre de l’Athénée à Paris pour cinq représentations du 13 au 20 décembre.
Une perspective fort alléchante car ce Petit Faust a été confié aux bons soins des Frivolités Parisiennes (dans le cadre d’une coproduction réunissant Bru Zane France, les Opéras de Tours et de Reims, le PBZ et les Frivolités Parisiennes). L’impatience de découvrir le spectacle est d’autant plus vive que la mise en scène revient à Sol Espeche qui, on s’en souvient, a signé il deux ans un Coups de roulis de Messager proprement irrésistible de tonus et de drôlerie.

© Caricature d'Hervé par Edward Ancourt - Le Bouffon, 9 février 1868 – Gallica / BnF
De la veine parodique du Petit Faust, opéra-bouffe en trois actes et quatre tableaux qu’Hervé présenta le 23 avril 1869 aux Folies-Dramatiques, quelques semaines seulement après la reprise du Faust de Gounod (le 3 mars) à l’Opéra de Paris, on ne doute pas qu’Espeche saura faire son miel. Transformé en maître d’école dans le livret d’Hector Crémieux & Adolphe Jaime, Faust sera incarné par l’excellent Charles Mesrine, déjà applaudi dans le Testament de la tante Caroline de Roussel et Gosse de riche de Maurice Yvain, entouré d’Anaïs Merlin ( Marguerite, Mathilde Ortscheidt (Méphisto) et Igor Bouin (Valentin) (1), etc. , tous sous la preste baguette de Sammy El Gadhab.
Pour vous donner un avant-goût de l’ouvrage que l’on aura le bonheur de découvrir bientôt à Tours, Reims et Paris, le 96e épisode des Archives du Siècle Romantique vous propose tout simplement de déguster un passage de son livret. Et pas le moins cocasse puisqu"il correspond au moment où, à l’Acte III, Valentin fait son apparition ... dans une soupière !
Signalons à tout ceux qui voudraient en savoir plus sur Hervé qu’une exposition virtuelle, « Hervé (1825-1892), Le Pierrot de l’opérette » est présentée sur bruzanemediabase. Elle se referme par un chapitre vidéo où l’on retrouve les captations des différentes productions que le Centre de musique romantique française a consacrées au compositeur : www.bruzanemediabase.com/exploration/expositions/herve-1825-1892
Ajoutons enfin que les actes des Journées d'étude Hervé du PBZ en 2019 sont disponibles en ligne www.bruzanemediabase.com/recherche?keys=Herv%C3%A9
Alain Cochard
(1) Le rôle de Valentin sera tenu par Philippe Brocard les 17 et 19 décembre
*

Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Le Petit Faust, opéra-bouffe, en trois actes et onze tableaux, paroles de MM. H. Crémieux, et A. Jaime, musique de M. Hervé. L'univers illustré, 25 février 1882 © Gallica / BnF
Quand Valentin apparaît dans une soupière. Extrait du livret du Petit Faust (acte III, scènes 5 et 6.)
SCÈNE V
FAUST, seul, puis l’Ombre de VALENTIN, puis MARGUERITE.
FAUST.
Ô joie… ô ivresse !… nous allons vivre dans la tranquillité… dans la naïveté… Enfoncé, Méphisto ; tes richesses, tes trésors… reprends-les… je ne veux que Marguerite… mon ange bien-aimé… viens !... oh ! viens. (Il souffle la dernière bougie ; obscurité profonde.) Elle est là… elle se recueille… préparons tout pour la recevoir… (Il se cogne dans un fauteuil. On entend un profond gémissement.) Qu’est-ce que c’est que ça ?... (Il se dirige vers la porte. Second gémissement.) Est-ce qu’il y a quelqu’un là ?... [Une lumière électrique vient frapper sur le fauteuil et éclaire l’ombre de Valentin debout et étendant les bras vers Faust.) Valentin !!!...
VALENTIN.
Assassin !…
FAUST.
Banco ! permettez… le duel était loyal…
VALENTIN.
Et la tabatière ?
FAUST.
La tabatière ! elle n’était pas à moi… c’était celle du démon qui… Et d’ailleurs, nous en étions aux prises… (Rire strident dans la coulisse.) Encore ce rire ! (Il se retourne ; l’Ombre a disparu.) Il est parti !... c’était un effet de mon imagination… C’est un vilain effet pour une nuit de noce… n’y pensons plus… (Il se dirige vers la droite.) Elle se recueille… (Il frappe.) Marguerite, c’est moi… ton petit Faust…
SCÈNE VI
FAUST, MARGUERITE, VALENTIN.
Marguerite entre avec une bougie.
MARGUERITE.
Faust… que se passe-t-il ?... comme tu es pâle !
FAUST.
Il est là… là… là… je le trouverai !...
MARGUERITE.
Qui ?
FAUST.
Qui ? ton… (À part.) Ne l’effrayons pas. (Haut.) Rien. C’est le plaisir.
MARGUERITE.
Veux-tu prendre quelque chose… la soupe au vin… le potage des époux ?...
FAUST.
Oui… la soupe des époux… Donne-moi la cuiller… merci… Mais ça ne m’empêche pas de t’aimer… oh ! non ! (Marguerite découvre la soupière, d’où l’on voit sortir la tête de Valentin sons un rayon de lumière électrique.)
Ah !
MARGUERITE.
Quoi ?
FAUST.
Là !...
VALENTIN, dans la soupière
Quand un militaire
Y s’ trouv' dans une soupière.
Faut qu’y ait bien à faire…
MARGUERITE et FAUST, tremblants
Qu’est-ce qu’il vient y faire ?
VALENTIN.
J’ vous dis qu’ c’est une affaire.
MARGUERITE et FAUST.
Mais quelle est cette affaire ?
VALENTIN, terrible.
Une affaire à réglère…
MARGUERITE et FAUST.
Comme il est en colère !
VALENTIN, parlé.
Oui… je suis en colère. . . c’est qu’il faut des événements bien graves
Pour qu’un brave militaire
Sort’ de son caractère… et du fond d’un’ soupière !
(Descendant.) Malheureuse enfant, sais-tu de qui cet homme tient sa fortune ?
MARGUERITE.
Non…
VALENTIN.
Du diable !...

La Nouvelle Lune, 19 mars 1882. Caricature d'Emile Cohl rééditée dans le numéro du 17 mai 1891 [La nouvelle Marguerite Mlle Jeanne Granier] © Gallica / BnF
MARGUERITE.
Eh bien ! après ?
FAUST.
Ne l’écoute pas !... ce matin… pas plus tard que ce matin… pour être digne de toi… je me suis dépouillé de tout… je n’ai plus rien… rien !...
MARGUERITE.
Hein ?...
FAUST.
C’était la surprise que je t’avais…
MARGUERITE.
Ah ! c’était là… alors… tu es donc ruiné ?
FAUST.
De fond en comble !...
MARGUERITE, s’éloignant de lui brusquement et se jetant dans les bras de Valentin.
Et il a tué mon frère !...
FAUST.
Marguerite, que dis-tu ?
VALENTIN.
Assassin !
MARGUERITE,
Je dis… je dis…
TRIO.
MARGUERITE.
Pour les beaux yeux d’un rêveur
Je travaille la candeur ;
J’inaugure, pour lui plaire.
Une seconde manière.
Et quand, par ce noble effort,
Je crois m’être fait un sort,
Il n’est plus même à son aise !...
Elle est mauvaise !
FAUST.
De l’affreuse vérité
Je me sens épouvanté.
Tu ne m’aimais donc, ma biche,
Que parce que j’étais riche ?
Quand tu parlais de bonheur,
D’une chaumière et d’un cœur,
Ça n’était donc que fadaise ?
Elle est mauvaise.
VALENTIN
Elle est mauvaise.
MARGUERITE, à Valentin.
Mon frère, emmène-moi… partons… je veux partir !...
VALENTIN.
Je crois que dans son cœur entre le repentir !
FAUST, à Marguerite
La foi de tes serments !...
MARGUERITE.
Tu t’en ferais mourir !
VALENTIN, ému.
Ah ! c’est l’accent de l’innocence,
Je reconnais son éloquence…
C’est bien la voix de la vertu !
Ma sœur est retrouvée !
Sauvée ! Elle est sauvée !...
(Il embrasse Marguerite.)
FAUST.
Perdu ! je suis perdu !
REPRISE.
FAUST, après l’ensemble.
Marguerite ! Marguerite ! Ah ! je saurai bien te retrouver !
(Valentin entraîne Marguerite par la gauche. Faust, éperdu, veut les poursuivre. Il rencontre la table, veut l’escalader et disparaît dans la soupière. Le décor change.)

Hervé : Le Petit Faust
16 & 18 novembre 2025 / Opéra de Tours
https://operadetours.fr/fr/programmation/le-petit-faust-herve-1825-1892
29 & 30 novembre 2025 / Opéra de Reims
https://operadereims.com/event/le-petit-faust-25-26/
13, 14, 17, 19 & 20 décembre 2025 / Paris – Athénée Théâtre Louis-Jouvet
www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/le-petit-faust.htm
Illustration : Hervé, Caricature d'Armand - Le Café-concert, 25 mai 1867 © Gallica / BnF
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