Journal

L’Amour sorcier et La Vie brève à Nantes – L’heure (vraiment) espagnole – Compte rendu

 
En septembre 2015, la saison d’Angers Nantes Opéra s’ouvrait sur une superbe exécution de L’Heure espagnole en version de concert, donnée au Palais des Congrès. Dix ans après, la saison 25-26 démarre à nouveau par un opéra en concert, mais au Théâtre Graslin. Et si l’acte de Ravel relevait de la plus délicieuse des espagnolades imaginées par un Français, il ne s’agit cette fois plus de gens qui se disent espagnols mais ne sont pas du tout espagnols : place à Manuel de Falla, dont l’Ibérie, pour être pittoresque, n’en est pas moins vécue de l’intérieur.
 
Les deux œuvres au programme furent créées à des dates rapprochées, 1913 et 1915, mais la première est bien antérieure : faute de pouvoir créer son opéra La Vie brève dans son pays natal en1905, De Falla dut attendre plusieurs années pour que l’œuvre voie le jour en France. Malgré sa forme hybride, qui associait initialement ballet, dialogues parlés et chant flamenco, L’Amour sorcier semble plus souvent à l’affiche, au moins dans sa version révisée, qui en fait une œuvre symphonique avec interventions chantées. C’est cette partition de 1916 qui est donnée à Nantes en lever de rideau, mais si connus que soient ses accords initiaux et surtout sa Danse du feu, on se dit après l’entracte que La Vie brève est une œuvre plus ambitieuse qui mériterait d’être bien plus fréquemment donnée, et d’être mise en scène.

 

Hervé Merlin & Laura Gallego Cabezas © Delphine Perrin

 
Avec une cantaora
 
En attendant que ce vœu soit exaucé, on se réjouit déjà de pouvoir entendre la partition, à défaut de la voir. L’Orchestre National des Pays de la Loire est dirigé avec clarté par le chef espagnol Roberto Forés-Veses (photo), qui met en valeur les nombreux passages de l’œuvre où l’action semble céder la place à la peinture de tableaux de la vie à Grenade au début du XXsiècle, entre les forgerons qui exaltent leur dur labeur au son des marteaux, les marchands ambulants et les jeunes promeneuses. Très sollicité dans ces passages, le Chœur d’Angers Nantes Opéra préparé par Xavier Ribes se montre à la hauteur des exigences et fournit les différents petits rôles : on salue en particulier la prestation du ténor Seugmin Choi (la plupart des autres interventions sont assez logiquement confiées à des membres du Chœur ayant une ascendance hispanique). D’Espagne on a fait venir la cantaora qu’exige la partition, Laura Gallego Cabezas apportant la touche d’authenticité voulue par De Falla, ici accompagnée par le guitariste Hervé Merlin. Si Sophie Belloir a très peu à chanter en Carmela, Carlos Natale prête au traître Paco la vigueur d’accents par lesquels il dupe l’héroïne. Jean-Luc Ballestra est un Oncle Sarvaor sonore et autoritaire, et l’on est heureux qu’après Luisa Miller, où elle avait été une superbe Federica, Angers Nantes Opéra ait fait revenir Lucie Roche : après avoir interprété les quelques pages chantées de L’Amour sorcier, elle campe une impressionnante Grand-mère, sans forcer le trait à aucun moment, la densité de son timbre suffisant à donner au personnage tout son relief.

 

Patricia Petibon © Delphine Perrin

 
Afféteries et gestes grandiloquents
 
Reste le cas de Patricia Petibon, la star mise en avant pour ce concert. On se rappelle que la soprano  avait en 2011 consacré un disque et une série de récitals à la musique espagnole ; on ne s’étonne donc pas de la retrouver dans ce condensé d’hispanité. Pourtant, à ce stade de sa carrière, il faut désormais faire abstraction d’un certain nombre d’afféteries dont son chant s’affuble sans qu’on sache toujours s’il s’agit de masquer l’usure des ans ou de pure mascarade. Que madame Petibon ait pris l’habitude de danser constamment d’un pied sur l’autre et de multiplier les gestes grandiloquents lorsqu’elle chante, il suffit de fermer les yeux pour l’oublier. Mais que certaines notes soient émises d’une manière peu orthodoxe et avec une justesse parfois aléatoire laisse planer le doute sur sa santé vocale, peut-être à tort s’il s’agit uniquement de maniérismes expressifs dont on se passerait bien. Il y a beaucoup de choses que la soprano réussit fort bien, et l’on se dit qu’elle pourrait être une Salud crédible si elle acceptait de se départir de ces excès qui la font basculer dans le camp des Arielle Dombasle et autres pseudo-cantatrices, alors que l’on préférerait se souvenir qu’elle fut l’une des rares artistes françaises à oser Lulu, par exemple.
 
Laurent Bury

 

De Falla : El amor brujo / La vida breve – Nantes, Théâtre Graslin, 8 novembre ;  reprise le 15 novembre 2025 à Angers (Le Quai) // www.angers-nantes-opera.com/accueil/l-amour-sorcier-la-vie-breve

Photo © Jean-Baptiste Millot

Partager par emailImprimer

Derniers articles