Journal
Parsifal à l’Opéra d’Anvers – La tête de l’emploi, mais de quel emploi ? – Compte rendu

Combien de Tristan en surpoids, combien de Siegfried à deux doigts de la retraite ? Pour une fois qu’un héros wagnérien a le physique de l’emploi, cela mérite d’être signalé. Remplaçant Benjamin Bruns initialement annoncé, le ténor américain Christopher Sokolowski (vu cet été à Aix-en-Provence en capitaine Vere dans Billy Budd) impose, pour sa prise de rôle, une silhouette juvénile et un visage d’adolescent.
Né en 1991, il a pourtant passé l’âge du Christ, mais il fait totalement illusion. On apprend qu’il a d’abord été contre-ténor, ce qui donne à penser que sa voix naturelle était plutôt celle de baryton, et à dire vrai, cela s’entend un peu, même si ce n’est pas très grave dans Parsifal, qui a déjà permis à d’autres, et des plus illustres, de faire leurs premiers pas de ténor wagnérien après avoir d’abord barytonné. La voix se chauffe peu à peu, à mesure que le rôle s’étoffe, et les aigus sont décrochés en temps voulu à défaut d’être tout à fait solaires.

© OBV/Annemie Augustijns
Une action comme éternellement rejouée
Reste à savoir comment cette adéquation visuelle est mise à profit dans la production proposée par l’Opera Ballet Vlaanderen. Confié aux Allemands Susanne Kennedy et Markus Selg, le spectacle dévoile presque tout le physique du chanteur, à peine masqué par une culotte chair. Et dans les rares moments où Parsifal n’est pas présent sur scène, on le voit méditant – lévitant ? – grâce à une vidéo projetée sur le décor. Même au troisième acte, où Gurnemanz est censé ne pas le reconnaître sous son habit militaire, il porte toujours la simple chemise qu’au premier acte. Et dès le lever du rideau, il était recroquevillé dans un coin. Le tandem Kennedy-Selg semble en effet avoir pris le mot « rituel » très au pied de la lettre, si bien que toute l’action est ici comme éternellement rejouée, en présence d’acolytes muets, qui féminisent beaucoup la chevalerie et qui accomplissent inlassablement les mêmes gestes symboliques, bras tournant comme les aiguilles d’une horloge au premier acte, ou se repliant sur la poitrine et s’ouvrant en signe de compassion au deuxième. Tout se passe à peu près dans le même décor, même si les vidéos permanentes changent d’un acte à l’autre.

© OBV/Annemie Augustijns
À chacun ses symboles
L’espace est néanmoins très encombré d’accessoires inscrivant l’action à la fois dans notre temps et dans le passé, tout comme les costumes associant jeans déchirés et étendards en paille tressée. Diffusées en boucle, les projections participent de la même horror vacui, en particulier dans la niche centrale où elles se diffractent comme dans un kaléidoscope. Les chanteurs, eux, restent très statiques, même les filles-fleurs qui ne quittent pas un instant la position qu’elles adoptent dès leur entrée en scène. Dans l’entassement de symboles issus de traditions diverses, chacun reconnaîtra ceux qui lui parlent le plus.

Alejo Pérez © Julia Wesely
Une direction pleine d'allant
Autour de Christopher Sokolowski, une très belle distribution a été réunie. Dshamilja Kaiser est une Kundry a la voix d’une grande douceur, où passe toute la sensualité que la mise en scène ne lui permet pas d’exprimer dans son jeu. Le vétéran Albert Dohmen n’a rien perdu du mordant de sa déclamation, et le timbre a conservé toute sa fermeté. On pourrait en dire autant de Werner Van Mechelen, dans le rôle beaucoup plus court et moins exposé de Klingsor. Kartal Karagedik est un superbe Amfortas, presque trop éclatant de santé pour le personnage du roi blessé. Parmi les filles-fleurs, on distingue quelques très jolies voix, dont deux membres du Jeune Ensemble de l’OBV, qu’on aura donc sans doute d’autres occasions d’entendre. A la tête du Chœur (préparé par Jef Smits) et de l’Orchestre symphonique de l’OBV, l’Argentin Aljo Pérez (1) reçoit des acclamations méritées pour sa direction menée avec allant et tenant le spectateur en haleine, ce qui n’est pas ici une mince affaire.
Laurent Bury

(1) directeur musical de l'OBV depuis 2019 // www.alejoperez.com
Richard Wagner, Parsifal – Anvers, Opéra, 11 octobre, (spectacle créé à l’Opéra de Gand le 23 septembre) ; prochaines représentations les 14, 16, 19 & 22 octobre 2025 // www.operaballet.be/en/programme/season-2025-2026/parsifal
Photo © OBV/Annemie Augustijns
Derniers articles
-
11 Octobre 2025Laurent BURY
-
09 Octobre 2025Alain COCHARD
-
09 Octobre 2025Laurent BURY