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Dimitri Malignan interprète Henriëtte Bosmans (1 CD Hortus - Festival Terraqué/Carnac, 2-4 septembre) – Le Diable dans la nuit

Un passage de Dimitri Malignan (photo) à l’Institut Goethe en début d'année (1) m’avait donné l’occasion de souligner la réussite de l’interprète dans des ouvrages pour piano solo de Dan Belifante (1893-1945) et, avec l'excellente violoniste belge Sarah Bayens, dans la Sonate pour violon et piano d’Henriëtte Bosmans (1895-1952), deux compositeurs néerlandais inscrit dans le champ d’investigation d’un pianiste qui a mené un important travail de recherche sur les musiciens juifs de l’époque de la seconde guerre mondiale extérieurs à la sphère germanique, autant dire des auteurs qui ont souvent échappé aux explorateurs de l’Entarte Musik.
Bien oubliée aujourd’hui, Henriëtte Bosmans en est un parfait exemple, elle qui ne connut pas le sort tragique de son compatriote Belifante, déporté à Auschwitz, mais dont la belle carrière (de compositrice et pianiste) fut brisée et la production occultée par la guerre. (2)

Avec l’archet généreux et engagé de Sarah Bayens
La Sonate pour violon et piano avait donné envie d’en savoir plus sur Bosmans : Dimitri Malignan comble notre curiosité avec un splendide disque (3) inscrit dans la collection « Voix-Etouffées – Missing Voices » du label Hortus (collection que D. Malignan codirige avec Thomas Jacquet). On est heureux de retrouver le pianiste, au côté du remarquable archet de Sarah Bayens, toujours aussi généreux et engagé, dans un ouvrage de 1918, en quatre mouvements, inscrit dans la tradition franckiste, que la réécoute permise par le disque permet toutefois d’envisager de manière plus approfondie que lors d’une première audition en concert. Une partition que l’on ne peut que recommander aux interprètes curieux ; elle trouverait aisément sa place au sein d’un programme français, entourée de Franck, Fauré, Saint-Saëns, etc.
Au plaisir des retrouvailles avec la Sonate, s’ajoute celui de découvrir un recueil exactement contemporain : les Préludes pour piano. Six séduisantes miniatures, de veine post-romantique certes mais qui, comme le remarque Dimitri Malignan, « explorent déjà des couleurs impressionnistes qui feront la singularité d’œuvres plus tardives. » La musicalité et la sonorité richement timbrée de l’ancien élève de Ludmila Berlinskaya y font merveille.
Bosmans et la mélodie
Afin que le portrait d’Henriëtte Bosmans soit complet, le pianiste a fait appel à la soprano norvégienne Elizaveta Agrafenina pour sept mélodies, magnifiquement défendues.(4) Celle sur Le Diable dans nuit de Paul Fort est la plus précoce dans la chronologie (1935) et la plus légère ; les six autres, partagées entre le français (l’admirable et troublante Chanson des marins hâlés, sur des vers de Fort à nouveau), l’anglais (The Artist’s Secret, Lead, Kindly Light) et le néerlandais (Dit Eiland, Daar Komen e Canadezen, Gebed) s’inscrivant dans la dernière année de la guerre ou la fin des années quarante. De prégnantes et plutôt sombres pages – sur lesquelles pèse la période difficile dont sortait la compositrice – qui traduisent la profonde évolution du langage autant qu’une rare capacité à ressentir les mots en musique.

Bosmans et d’autres oubliés, mais aussi Schumann et Mozart
Plus que séduisant, cet enregistrement fournit l’occasion de vous signaler la venue de Dimitri Malignan au 9e Festival Terraqué de Carnac. Un rendez-vous, dirigé par Clément Mao-Takacs, où le pianiste interprétera un peu de Bosmans (Préludes 1, 2 et 4) au sein d’un passionnant programme « Missing Voices » comprenant en outre des pages de Benjamin Fondane, Leo Smit, Hand Gál, Dan Belifante, Ravel et Honegger.(2 sept.)
Ce récital découverte ne doit pas faire oublier que le Prix Cortot 2017, trop rare sur les scènes françaises, est tout autant à son aise dans le grand répertoire : un programme tout Schumann (Robert et Clara), le 3 septembre, et le 21e Concerto de Mozart, avec l’Orchestre du Festival sous la baguette de Clément Mao-Takacs, le lendemain, le démontreront.
Notez dès à présent que le pianiste, de retour d’une grande tournée en Asie (Inde, Thaïlande, Malaisie, Cambodge), se produira à Châlons-en-Champagne (La Comète), le 21 novembre, à nouveau avec Clément Mao-Takacs, à la tête du Secession Orchestra, lors d’un original face à face Bizet/Ravel (Concerto en sol), auquel les voix de Marie-Laure Garnier et Marianne Seleskovitch seront associées.
Au bonheur des curieux
La journée du 2 septembre au Festival Terraqué fera d’ailleurs largement le bonheur des curieux puisque, avant le récital de Dimitri Malignan en soirée, on pourra assister à la passionnante conférence d’Olivier Lalane « L’incroyable destin d’Oskar Posa, compositeur oubliée », suivi d’un récital de lieder (Posa, Schubert, Mahler, Brahms) d’Edwin Fardini et Juliette Journaux, peu ou prou identique à celui que nous avons eu l’occasion de saluer lors des Flâneries musicales de Reims en juillet dernier.(5) Posa dont vous entendrez beaucoup parler durant les semaines qui viennent ...
Alain Cochard

(2) Catalogue d'Henriëtte Bosmans : https://nieuwgeneco.nl/en/works-by-bosmans/
(3) Henriëtte Bosmans : Le Diable dans la nuit ( 1 CD Voix Etouffées /Missing Voices HORTUS 834 )
(4) Elisazeta Agrafenina, a mené un important travail sur les mélodies de Bosmans ; on en estime le nombre entre 40 et 50.
9e Festival Terraqué / Carnac
Du 1er au 6 septembre 2025
www.festivalterraque.com/
Dimitri Malignan au Festival Terraqué
Les 2, 3 et 4 septembre 2025
- festivalterraque.com/programme/le-mal-des-fantomes/
- festivalterraque.com/programme/toi-mon-ame-toi-mon-coeur/
- festivalterraque.com/programme/le-jeu-de-lamour-et-du-hasard/
Photo © Marc Malignan
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