Journal
Edwin Fardini et Juliette Journaux aux Flâneries musicales de Reims 2025 – Oskar Posa, grand parmi les grands (ou vivement le 12 septembre !) – Compte-rendu

Novembre 2023, Bibliothèque La Grange-Fleuret : on était sorti du récital d’Edwin Fardini et Juliette Journaux quelque peu secoué – le mot est faible – par l’ampleur de la découverte. (1) Une soirée avec les mêmes interprètes à l’Ecuje en mars 2024 (à laquelle la violoniste Eva Zavaro prenait part aussi) n’avait que renforcé ce sentiment ; ce constat plutôt.(2) Un récital du duo Fardini-Journaux mêlant le compositeur en question à des auteurs fameux du XIXe et du début du XXe siècle vient de le confirmer : grand oublié parmi les oubliés de la musique germanique, Oskar Posa (1873-1951) est un compositeur absolument majeur. Pas une curiosité pour musicologue, pas un talentueux épigone que l’on placerait en compagnie de contemporains illustres afin de mieux souligner leur génie, non : un grand parmi les grands. Schubert, Mahler, Strauss et Brahms l’entouraient au cours d’un concert rémois intitulé « Ombre et lumière » ; confrontation redoutable, d’autant que le Roi des Aulnes, le dernier des Chants sérieux ou le « Oft denk’ich » des Kindertotenlieder étaient entre autres programmés ... On a pu juger sur pièces : Posa était parmi ses pairs.

Olivier Lalane © Marc de Pierrefeu
L’aboutissement d’un sherlockholmesque et monumental travail
« L’incroyable destin d’Oskar Posa », s’intitulait la conférence proposée avant le concert par Olivier Lalane, chercheur, producteur et éditeur musical. Une intervention passionnante et on ne peut plus légitime car c’est grâce à son enthousiasme et à sa ténacité en acier trempé que la musique de Posa revient à la vie. Il serait trop long de raconter l’existence, entre rocambolesque et tragique, du musicien autrichien, comme de décrire le sherlockholmesque et monumental travail qu’O. Lalane (au départ intrigué par la présence du nom de Posa, entre ceux de Zemlinsky et Schoenberg, sur l’affiche d’un concert viennois du 25 janvier 1905 découverte en 2020 durant le confinement) a mené depuis cinq ans pour réaliser le projet qui aboutira à la rentrée.

© Romu Ducros
Le 12 septembre prochain sortira un coffret rassemblant une vaste anthologie de lieder par Edwin Fardini et Juliette Journaux, la Sonate pour violon et piano op. 7, par cette même pianiste et Eva Zavaro, et l’ultime Quatuor à cordes par le Quatuor Métamorphoses (ce sera la toute première référence du nouveau label Voilà !)(3). Un livret de 250 pages se chargera quant à lui de tout vous révéler sur l’artiste et de combler le gigantesque trou mémoire de la postérité – et des dictionnaires de la musique ! Ironie de l’oubli, si l’on peut dire, un « Dictionnaire des juifs dans la musique », édité en terre nazie avec les plus détestables intentions en 1941, est même parvenu à omettre Oskar Posa.
Après la BLGF et l’Ecuje, les Flâneries musicales de Reims peuvent s’enorgueillir d’avoir pris part, dès avant la sortie de l’enregistrement, au mouvement de redécouverte en cours. Quant à Edwin Fardini et Juliette Journaux, ils ont une nouvelle fois montré leur intime compréhension de la musique de Posa et de sa singulière approche du lied, faite d’entrelacs entre la voix et le piano et – c’est l’un des aspects les plus surprenant et novateur de sa conception – d’une relation souvent inversée entre chant et accompagnement.

© Romu Ducros
> Les prochains concerts de Lieder <
Posa compositeur-né-pour-le-lied
Avec la même immédiateté que le compositeur dans sa relation au texte, Edwin Fardini et sa partenaire plongent au cœur de leur sujet. Parmi les toute premières réalisations de l’artiste, « Du hast mich aber lange warten lassen » (n°1 des Cinq Lieder op. 3 sur des poèmes de Detlev von Liliencron) et « Heimweh » (n° 1 des Quatre Lieder op.1 sur des poèmes de Ricarda Huch) soulignent à quel compositeur-né-pour-le-lied on a affaire. La juxtaposition de « Der Stadt » (tiré du Schwanengesang schubertien) et de « In einer grossen Stadt » (Op. 3 n°3) ne séduit pas moins. La ville de l’amour perdu face à celle de la solitude de l’individu égaré dans la cité tentaculaire et indifférente : Posa sait traduire les sentiments, l’esprit de son époque, servi ici par une voix aussi splendide que dénuée de narcissisme, en parfaite symbiose avec le jeu fouillé et vivant de Juliette Journaux. Le Roi des Aulnes, le n° 4 des Kindertotenlieder et « O Tod, wie bitter bist du » de Brahms terminent la partie « ombre » du récital, d’une portée dramatique d’autant plus saisissante que Fardini ne surjoue jamais.

© Romu Ducros
Face à Mahler
De l’ombre à la lumière : pendant que le chanteur s’offre quelques minutes hors de scène, Juliette Journaux assure la transition avec le Prélude des Gurrelieder (dans l’arrangement de Berg), la Fantaisie op. 9 n°1 de Zemlinsky et la transcription (par J. Journaux) de « Waldsonne » op. 2 n° 4 de Richard Strauss. Une fois de plus, on cède à la beauté et l’intelligence musicale d’un clavier foisonnant de timbres, pleinement maître des plans sonores (que l’on aimerait que le magnifique récital « Wanderer » de la pianiste chez Alpha connaisse une suite ...).
C’est là une intriduction idéale à la partie « Lumière » qui, entre l’ardent appel au bonheur de « Befreit » op. 39 n° 4 de R. Strauss et la puissance opératique de « Beschwichtigung » (Apaisement) op. 4 n°4 de Posa, confronte ce dernier à Mahler. « Goldammer » op. 3 n° 3 et, non moins poétique, une transcription (par J. Journaux) de « Mondlich » op. 12 n°1 encadrent en effet l’« Urlicht » du Knaben Wunderhorn. Une implacable mise en regard qui ne fait que souligner la grandeur du musicien que l’on découvre. L’écoute approfondie de l’enregistrement annoncé pourrait d’ailleurs bien conduire à réviser certains jugements et hiérarchies ...
En bis, « Heimkehr » op. 1 n°2 achève de convaincre un auditoire aux anges de l'importance de l’événement musical qui se prépare pour la rentrée. Posa inconnu ? Plus pour longtemps.
Alain Cochard

Reims, Cloître du Musée historique Saint-Rémi, 26 juin 2026 // Flâneries musicales de Reims : https://www.flaneriesreims.com
(1) www.concertclassic.com/article/edwin-fardini-et-juliette-journaux-interpretent-oskar-posa-la-bibliotheque-la-grange-fleuret
(2) www.concertclassic.com/article/edwin-fardini-eva-zavaro-et-juliette-journaux-lecuje-affaire-posa-une-piece-supplementaire
(3) Distribution PIAS
Photo © Romu Ducros
Derniers articles
-
27 Juin 2025Alain COCHARD
-
25 Juin 2025Collectif
-
25 Juin 2025Alain COCHARD