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Une interview de Laure Baert, directrice artistique du Festival de Sablé – « Nous sommes heureux de cette belle énergie en reconstruction »

L’été touche à sa fin, mais d'alléchants rendez-vous attendent encore le mélomane tandis qu’approche la rentrée. À Sablé, du 20 au 23 août, un riche concentré de musique s’offre à lui. Directrice artistique de la manifestation sarthoise depuis décembre 2021, Laure Baert (photo) répond à Concertclassic et détaille une édition 2025 sous le signe de Jean-Sébastien Bach, entre concerts traditionnels et propositions plus atypiques. Ce n’est d’ailleurs là que la partie émergée d’une action plus globale. « Il y a un gros, très gros travail sur le territoire, particulièrement mis en lumière au moment du festival, souligne-t-elle, qui se déroule pendant toute l’année, organisé par l’équipe de L'Entracte. Cette association menée en grande partie par la municipalité, gère la saison culturelle du lieu nommé « L'Entracte », mais aussi le Festival de Sablé et «Pop au Parc », un festival pop qui se tient début juillet. »
Vous signez cette année votre quatrième édition. Qu’elle a été l’évolution du festival depuis votre arrivée ?
Je suis arrivée dans une période où il fallait que le festival se renouvelle. Il y avait des difficultés de remplissage, tout simplement. Un prise de fonctions qui intervenait juste après la décision par l'équipe et les partenaires de clôturer l'Académie, qui était évidemment une chose très importante, l'âme-sœur du festival. Ça semblait ne plus fonctionner comme ils le souhaitaient. Il y avait de moins en moins de corrélation, de sens artistique, vraisemblablement. Donc, quand je suis arrivée, la décision avait été prise de supprimer cette Académie – en tout cas pour quelques années, nous verrons si un jour on arrive à refaire quelque chose.
On m'a demandé de garder, évidemment, l'esprit et l'identité du festival, puisque je m'occupais déjà d'un festival de musique baroque à l'époque, le Festival de Froville. Garder cette identité, mais aussi l’ouvrir à un public, qui peut-être ne connaissait pas, ou n'osait pas venir écouter la musique baroque ; ouvrir un peu les stylistiques de manière élégante, afin de permettre à un nouveau public de découvrir son festival, sur son territoire. Le format n'a pas changé à mon arrivée ; nous sommes restés sur onze concerts, dont deux se passent dans l'espace public de Sablé et sont gratuits.

"Que ma joie demeure" (chor. Béatrice Massin) © Benoîte Fanton
« Le public fidèle est de retour, auquel s’agrège un nouveau public. »
Vos fonctions à Sablé ont commencé par un challenge puisque, nommée en décembre 2021, il vous a fallu bâtir l’édition 2022 en très peu de temps ... Comment la fréquentation évolue-t-elle depuis ce moment ?
J’avais en effet dû boucler la programmation 2022 en trois semaines ! Mais j’aime les challenges et ça s’est plutôt bien passé. Dès 2022, et encore plus à partir de 2023, on a retrouvé le public. Il revient avec de plus en plus d'abonnements sur toute la programmation, sur les quatre jours. C'est plutôt encourageant ; ça nous montre que la proposition qui est faite est suffisamment riche et variée pour que les mélomanes se disent qu'ils peuvent assister à tous les concerts. Le public fidèle est de retour, auquel s’agrège un nouveau public. On l’a constaté dès 2023 : il vient découvrir les concerts en extérieur et c’est l’occasion pour moi et mon équipe d’aller à sa rencontre. Nous somme heureux de revoir ces gens dans certains concerts, dans les théâtres ou les églises, preuve qu’il s’approprient leur festival. Nous constatons une hausse de la fréquentation, et nous pouvons compter sur un public fidèle et curieux, qui a hâte à chaque fois de découvrir la nouvelle programmation. Nous avons retrouvé de beaux chiffres de fréquentation ; nous sommes heureux de cette belle énergie en reconstruction. Nous avons un beau public qui rayonne sur toute la région Pays de la Loire. On en a besoin, en ce moment, dans notre région ...
L’édition 2025, la 47e, est placée sous le signe de Bach. Un grand classique ... et une vraie mine d’or ! Comment avec vous construit la programmation ?
Ce choix est un petit clin d'œil au 140e anniversaire de la naissance du compositeur. Je l'ai construite, comme toujours, dans la perspective de l'accessibilité au public. Le festival s’ouvrira sur « Que ma joie demeure » par la Compagnie Fêtes Galantes de Béatrice Massin. Un spectacle magnifique avec une dizaine de danseurs. C’était l’occasion de faire revenir Béatrice Massin et sa compagnie au Festival de Sablé où on ne les avait pas vues depuis très longtemps.

Bertrand Cuiller et Le Caravansérail © Jean-Baptiste Millot
« Programmer « Que ma joie demeure » était aussi un façon de mettre en avant la construction d'un artiste. »
Une reprise en fait ?
Ce sera la recréation d’un spectacle qu’elle a offert il y a vingt ans, et dont elle propose ici une seconde version. Il y a pour moi un effet miroir en ce Jean-Sébastien Bach qui a construit sa carrière sur une longue vie – ce qui n’était pas très courant à l’époque – et Béatrice Massin qui arrive en fin de carrière – c'est sa dernière création –, une carrière d'artiste construite sur la durée, en tant que danseuse d’abord, puis la chorégraphe que l’on connaît.
C'était aussi un façon de mettre en avant la construction d'un artiste. Qu'est-ce qu'un artiste ? Il commence, il évolue, il fait des choses plus ou moins importantes, plus ou moins réussies. Et il rebondit, et s'enrichit à nouveau de son expérience de vie, et c'est ce qui vient enrichir son expérience d'artiste. Je trouvais intéressant de commencer par un spectacle autour de Bach, appuyé sur des œuvres majeures (les enregistrements des Concertos Brandebourgeois nos 2, 3 et 6, par Ton Koopman et The Amsterdam Baroque Orchestra, et la Cantate BWV 78 par La Chapelle Royale et Philippe Herreweghe).
Pour rester dans le domaine de la danse, on pourra aussi assister (le 22 août à 10h, au Cinéma Confluences) à une projection du documentaire de Philippe Béziat sur les Indes Galantes dirigées par Leonardo García-Alarcón, parrain du Festival de Sablé.

Camille Delaforge © Emilie Brouchon
« Il est important d’avoir des artistes qui ont envie d’échanger avec le public après le concert, envie d’être dans une certaine connivence. »
Bach occupe une place centrale, mais ne monopolise cependant pas toute la programmation ...
Il n’y a en fait que trois programmes tout Bach. « Que ma joie demeure », le concert « Bach Contemplation » du Romain Leleu Sextet et celui du Caravansérail, pour lequel Bertrand Cuiller aura à ses côtés Violaine Cochard, Olivier Fortin et Jean-Luc Ho. Je suis très heureuse d’accueillir ce « Bach dans tous ses états » du Caravansérail ; j'aime beaucoup le travail qu'ils font. Bertrand Cuiller est très inventif, et est attaché à l’idée de partage, partage sur le territoire, partage avec le public. Au-delà du concert, du plaisir qu’il procure, il est important d’avoir des artistes qui ont envie d’échanger avec le public après le concert, envie d’être dans une certaine connivence.
Trois programmes tout Bach donc et sinon des concerts où le compositeur allemand est mis en regard avec ses contemporains. Ce avec des ensembles dont la présence témoigne de certaines fidélités – Il Caravaggio de Camille Delaforge en particulier – et aussi d’une ouverture aux jeunes artistes ...
Il Caravaggio est en effet pas mal venu à Sablé avant mon arrivée, mais c’est la première fois que je les invite et j’aurai de surcroît le plaisir de chanter avec eux, au côté d’Anthea Pichanick, dans un programme « De Bach à Pergolèse ». On trouve sinon de jeunes artistes, ou de jeunes formations telles que l’ensemble Théodora de Louise Ayrton. Un tout jeune ensemble qui fait preuve d’une très belle créativité et que nous recevons dans une programme autour de la place violon aux XVIIe et XVIIIe siècles et de la façon dont elle a évolué.

Salomé Gasselin © Valentine Chauvin
Deux jours après le violon, instrument alors en plein essor, un autre dont la fin approchait (les choses ont bien changé ! ), la viole, entrera en scène lors d’un récital de Salomé Gasselin. Avec un programme auquel vous teniez je crois ?
Tout à fait. Dans la multitude de programmes de Salomé, tous passionnants, j’ai choisi « La Part des Anges », très séduisant parce qu’il offre une palette complète de la viole avec des pages de Marais, Gallot, Forqueray, Abel et ... Bach !
J’aime beaucoup le récital et c’est un genre que le public de Sablé apprécie énormement. L’an dernier j’avais invité Lucile Boulanger dans un programme Bach-Abel. Un très beau souvenir car – pour mon plus grand bonheur ! – il y avait beaucoup d’enfants présents, qui découvraient tout un univers sonore, mais aussi un instrument splendide visuellement ; je pense que pour un gamin, c'est assez fascinant. Une petite graine semée dans le cœur de ces enfants ...
Un autre récital s’annonce avec la guitariste Gaëlle Solal, une artiste que j’aime beaucoup. Elle offre toujours des programmes originaux, sortant des sentiers battus, souvent en lien avec la littérature. Ce sera la cas avec « La Partition de sable », un hommage au Livre de sable de Borges qui réunira des pages de Bach, Catelnuovo-Tedesco et Ginastera. La guitare est instrument qui rassemble, un instrument populaire dans le bon sens du terme ; c'est d’ailleurs un concert qui a lieu en extérieur et qui est offert au public.

Korabarok © Dahrzeidane
« Il y a beaucoup de nouveaux venus au Festival de Sablé cette année »
Ce sera la première venue de la guitariste à Sablé ?
Oui, et il y a beaucoup de nouveaux venus cette année : Théodora, La Sportelle, Carlo Vistoli, Les Accents, le Romain Leleu Sextet, je ne pense pas que Salomé ou Le Caravansérail aient déjà été présents. Il Caravaggio, Amarillis, Korabarok sont en revanche déjà venus.
Qu’en est-il des concerts qui sortent des habitudes d’une festival baroque tel qu’on l’entend généralement ? Je pense à Korabarok en particulier ...
Et j’y ajouterai le « Que ma joie demeure » des Fêtes galantes. Il s’agit d’un spectacle sur de la musique baroque, mais visuellement très moderne. On n’est pas du tout dans un spectacle avec costumes d’époques, dorures, etc.
Avec Korabarok on va découvrir un instrument méconnu, que je trouve vraiment sublime, au cours d’un concert mêlant le baroque à la musique du monde. Mélanger toutes les musiques, mélanger toutes les origines, c’est aussi le cœur de notre société.

Gaëlle Solal © Romain Chambodut
« On parle de ceux qui nous ont enlevé des subventions, mais il faut parler aussi de ceux qui sont restés et qui tiennent ardemment à ce festival. »
Projetons-nous pour conclure dans l’après festival. Comment les choses vont-elles se passer sur le terrain d’ici à l’édition 2026 ?
Le travail sur le territoire avec les jeunes se fait toute l’année : on les reçoit pour des moments privilégiés avec les artistes, ils peuvent venir découvrir des instruments. Pour la plupart d’entre eux, la musique baroque est un monde complètement nouveau. Ça amène des questions, des échanges passionnants et très beaux humainement. Nous continuons en ce sens et c’est aussi la perspective offerte tout l’année par « L’Entracte » au sein de leur programmation : ils incluent les mission locales et les établissements scolaires de la région dans leurs activités.
Il faudra aussi voir en fonction des récentes décisions de la région Pays de la Loire en matière de subventions ; nous espérons pouvoir continuer ce processus d’accès à la culture que je viens d’évoquer.
Du jour au lendemain, 100 % des subventions que recevaient L’Entracte ont en effet été supprimées par la région mais, et je tiens particulièrement à les en remercier, heureusement que le département de la Sarthe et la ville de Sablé demeurent attachés à ces valeurs culturelles et au Festival de Sablé et se montrent aussi impliqués qu’auparavant. On parle de ceux qui nous ont enlevé des subventions, mais il faut parler de ceux qui sont restés et qui tiennent ardemment à ce festival. C’est très important de le souligner !
Propos recueillis par Alain Cochard

47e Festival de Sablé
Du 20 au 23 août 2025
Programmation détaillée : lentracte-sable.fr/festival-de-sable/
Photo © DR
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