Journal
Kotaro Fukuma au Festival Chopin à Paris 2025 – La part du secret – Compte-rendu

À chacun son anniversaire. 2025 marque la 40e édition du Festival Chopin à Paris ; Kotaro Fukuma fête pour sa part le 10e anniversaire de sa première apparition à l’affiche de la manifestation. Quant à Concertclassic, dès 2006 il vous avait signalé l’exceptionnel talent de l’artiste japonais (1er Prix du Concours de Cleveland 2003). « Maîtrise de samouraï et cœur de poète », écrivions-nous à l’époque. La formule vaut tout autant aujourd’hui, si ce n’est que, avec les ans – qui semblent n’avoir aucune prise sur des traits et une silhouette toujours aussi juvéniles – l’artiste japonais (né en 1982) a mûri son approche de Chopin. Le récital qu’il vient de donner à Bagatelle en apportait une magnifique démonstration.
On le comprend dès la Grande Valse brillante op. 18, pièce que Fukuma se garde bien d’ « expédier » comme d’autres le font parfois. L’élégance, l’élan, la dette envers le style brillant sont bien là, mais l’interprète s’attache d’abord à souligner la variété d’humeur d’une partition qui se mue sous ses doigts en un merveilleux petit théâtre de sentiments.

L’odyssée d’une âme
Un « voyage intérieur », écrit le pianiste à propos de la Ballade n° 1 dans le commentaire qu’il a, comme tous les autres musiciens invités au 40e Festival, rédigé à propos de son programme. C’est bien de cela dont il est question dans une interprétation aussi rétive aux effets virtuoses et à l’héroïsme de façade que prenante par sa force narrative et la part de secret que l'artiste parvient à dévoiler avec une palette sonore infiniment nuancée. L’odyssée d’une âme fière à laquelle les quatre Mazurkas op. 30 qui suivent apportent une clef de compréhension ; souvenirs de la terre natale faits de nostalgie et de joie que l’interprète caractérise en s’appuyant sur un sens harmonique très aiguisé.
Explosion de joie
On n’entend pas tous les jours le Boléro (1835) de Chopin, bien plus polonaise que danse espagnole en fait. Qu’importe. Seule compte la manière étourdissante dont Fukuma joue ici avec les notes, les traits et les couleurs, transformant ce morceau négligé en une véritable explosion de joie. Car c’est aussi par l’aptitude à tirer pleinement parti de pièces qu’on ne saurait qualifier d’essentielles que l’on reconnaît un grand interprète ...
La Polonaise op. 53 « Héroïque » referme la première partie, magnifique d’ardeur, mais toujours attentive à la respiration et à l’esprit de la danse dont elle se nourrit.

De l’autre côté du miroir
Non moins fameuses, les Etudes « Tristesse » et « Révolutionnaire », intenses mais exemptes de tout excès racoleur, font figure de souvenirs de jeunesse, au commencement d’une seconde partie qui se prolonge avec le Chopin tardif et d’abord les deux ultimes Nocturnes op. 62 dont on savoure une interprétation incroyablement décantée. Par-delà la magique fluidité de ces pages géniales, servies avec un exceptionnel art du timbre, Fukuma procure la sensation de passer de l’autre côté du miroir ; il touche à la dimension la plus secrète de l’inspiration du compositeur. Pas question de briser le charme par des applaudissements : le Nocturne en mi majeur est enchaîné à la Polonaise-Fantaisie. « Voyage intérieur » ? La formule que le pianiste applique à la Ballade en sol mineur pourrait valoir pour l’ensemble de son récital. La chimie harmonique de l’Opus 61 se déploie dans la touffeur du soir. Moment magique et troublant sous les doigts d’un prince du clavier ...
En bis, la Contredanse et les Variations sur un thème de Hérold referment la soirée avec autant de charme que d’esprit.
Alain Cochard

Paris, Parc de Bagatelle, Orangerie, 1er juillet 2025 // Festival Chopin à Paris, jusqu’au 14 juillet 2025 : www.frederic-chopin.com/
Phoro © Jean-Baptiste Millot
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