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Rencontre avec David Théodoridès, directeur général du Centre Culturel de Rencontres de l’Abbaye aux Dames – « À Saintes, la thématique c’est le plaisir ! »

Cas unique dans le paysage des festivals français, le Festival de Saintes a adopté le principe d’une direction artistique tournante renouvelée tous les deux ans. Après des éditions 2023 et 2024 signées Hervé Niquet, c’est au tour de la violoncelliste Ophélie Gaillard (photo à g.) d’imprimer sa marque pour 2025 et 2026. On doit ce mode d’organisation singulier à David Théodoridès (photo à dr.) qui, dès son arrivé à la direction générale du Centre Culturel de Rencontres de l’Abbaye au Dames en septembre 2021 a « repensé son fonctionnement et en particulier le rythme du festival en fixant un cadre, un canevas qui lui paraissait à la fois propice à la diversité artistique et au confort des festivaliers, avec des horaires modifiés, des lieux nouveaux pour un festival beaucoup plus éclaté dans toute la ville. »
Un nécessaire renouvellement
Un cadre qui était déjà clairement posé donc au moment où Hervé Niquet a pris la direction artistique. «Il était acté que c’était pour deux ans non renouvelables, rappelle D. Théodoridès. Mon idée était de proposer à un artiste un regard sur deux éditions, avant de poursuivre avec un ou une autre. Il fallait évoluer, se renouveler sans renoncer à l’histoire d’un festival qui a toujours été un lieu de découverte de nouveaux artistes, de nouveaux répertoires. L’enjeu pour Hervé était de nous raconter, par sa programmation, sa façon d’aimer la musique et les artistes, de nous faire part de ses coups cœur. »

Hervé Niquet © Henri Buffetaut
> Les prochains concerts en Poitou-Charentes <
Du rires aux larmes
Du conformisme ronronnant et de la morosité, Hervé Niquet n’est parbleu pas un spécialiste. « Les choix d’Hervé, se réjouit D. Théodoridès, nous ont valu des propositions assez extraordinaires, parfois très inattendues, iconoclastes (le concert de l’Orchestre d’harmonie de la Garde Républicaine avec Shirley et Dino par exemple). Hervé fait les choses sérieusement, mais il adore s’amuser aussi : on est passé en permanence du rire aux larmes, de l’émotion la plus grave au plaisir le plus intense, dans un climat d’effervescence. On est entré dans l’intimité de goûts d’Hervé. Et le public a suivi ! »
Attrait pour un état d'esprit nouveau
« 2023 a été marqué par une progression de 45% de la fréquentation et on a retrouvé des chiffres qui étaient habituels avant 2019. Avec 8% de progression encore en 2024, on est parvenu à une des meilleures fréquentations du festival depuis plus de dix ans. Il y a pour nous une vraie satisfaction à faire ce constat, à voir des gens qui retrouvent le chemin de Saintes et qui montrent un véritable attrait pour l’état d’esprit nouveau amené par Hervé. »
2025 marque donc le début d’un nouveau chapitre avec l’arrivé d’Ophélie Gaillard à la direction artistique pour les 54e et 55e éditions. « Je voulais que ce soit une femme cette fois-ci, confie David Théodoridès. », qui connaît la directrice de Pulcinella depuis longtemps pour avoir été avant 2021 aux commandes du – feu, hélas ... – festival Sinfonia en Périgord.

Ophélie Gaillard © Caroline Doutre
En parfaite coordination
Le mode de fonctionnement évolue toutefois un peu, puisque, précise le directeur général : « Ophélie a accepté la direction artistique à la condition que nous élaborions la programmation à deux. Et nous avons travaillé très harmonieusement ; nous nous sommes appelés quasiment toutes les semaines, pour échanger nos idées, nos découvertes, dans une parfaite coordination. Je connais Ophélie depuis de nombreuses années et ce que je trouve assez extraordinaire c’est l’affection incroyable qu’elle manifeste envers ses collègues, la tendresse avec laquelle elle me parlait de tel ou telle artiste qu’elle voulait inviter. Elle a un relation très personnelle avec eux, très féminine en quelque sorte. Une attitude très bienveillante et en même temps un regard acéré sur ses attentes en termes d’orientation interprétative.

Camille Delaforge, au programme du 54e Festival avec son ensemble Il Caravaggio, le 15 juillet, dans "The Witch of Endor" (Purcell, Charpentier, Ferrandini) © Emilie Brouchon
Une touche de féminité
« " Y a-t-il une thématique ? " : Ophélie m’a posé la question, comme Hervé Niquet l’avait fait avant elle, remarque D. Théodoridès. Ma réponse a été la même : la thématique c’est le plaisir ! Un festival, surtout par les temps qui courent, ce n’est pas un lieu pour faire une thèse universitaire. Il s’agit de proposer un parcours au cours duquel les gens ont envie de prendre du plaisir sans se demander si la thématique est bien ou mal illustrée. Mais, par la présence de certaines interprètes, telles Camille Delaforge ou Sophie de Bardonnèche, de compositrices, Ophélie apporte une touche de féminité. À d’autres endroits on trouvera des touches de modernité, comme avec l’ensemble Thélème de Jean-Christophe Groffe, qui mettra en regard Dowland avec Cage et des compositions et improvisations de Nikki Buzzi. »

Sophie de Bardonnèche (à g.), avec Lucile Boulanger et Justin Taylor dans "Destinées" (10 compositrices baroques françaises), le 16 juillet © Jean-Baptiste Millot
Bach and Breakfast
« Je ne peux pas dévoiler ce que l’on fera en 2026, poursuit D. Théodoridès, mais la dimension spectaculaire nous intéresse beaucoup. Un nouveau regard s’exprime en tout cas, avec des couleurs et des orientations un peu particulières. Il va y avoir des moments d’amitié aussi : chaque matin, lors des « Bach and Breakfast », un musicien participant au festival sera seul en scène, à 9h30 dans l’Abbatiale, pour offrir au public qui voudra le rejoindre 15 à 20 minutes de musique. Un moment de fugacité et de douceur au petit matin, pour se réveiller avec la musique de Bach, de Couperin, etc. L’après-concert du soir sera aussi un moment d’amitié, sous la Voile, où il y aura un piano ; pour se dire un bel au revoir et bonne nuit ...
Une saison musicale aussi !
Le plaisir musical rime avec l’été à l’Abbaye aux Dames, mais il faudrait surtout pas oublier la saison musicale qui démarre chaque automne et se prolonge jusqu’en juin. Comme d’habitude, sa programmation ne sera dévoilée qu’en septembre, pour un coup d'envoi à la mi-octobre. Un pan de l’activité du Centre Culturel de Rencontres de l’Abbaye aux Dames auquel, le directeur général accorde la plus grande importance. « L’Abbaye vit toute l’année ; c’est un patrimoine qui est présent tout le temps. Il me paraissait totalement anachronique, souligne-t-il, que ce lieu dédié à la musique ne la laisse s’exprimer pleinement que huit jours par an. J’ai donc souhaité qu’on y réinstalle la saison de concerts qui avait disparu depuis 2018, avec un rendez-vous mensuel qui peut être un récital ou de la musique chambre, ce dans des répertoires très variés qui vont de la musique ancienne à des auteurs contemporains. Nous accueillons des artistes merveilleux, en leur proposant un lieu de concert, certes, mais aussi, un cadre où ils peuvent travailler.

Les Kapsber'Girls reprendront leur programme "Vox Feminae" (1CD Alpha) le 15 juillet
Des résidences de création
« Depuis trois maintenant nous avons mis en place un système de résidence de création qui – trois à six fois dans la saison – permet à un ensemble de venir travailler pendant une semaine. Il peut s’agir d’affiner un programme que les musiciens ont en tête ou de finaliser un projet avant de le diffuser ou de l’enregistrer. Les Kapsber’ Girls sont ainsi venues préparer l’enregistrement de leur programme Vox Feminae, qui sera d’ailleurs repris au festival le 15 juillet. Nous avons aussi reçu différentes formes de l’opéra contemporain. Ces résidences se terminent par des rencontres avec le public, avec des professionnels aussi, susceptibles d’être intéressés par la diffusion de ce qui leur est présenté. »
« En plus de cela, il ne faut pas oublier, dans le domaine de la formation, le travail du Jeunes Orchestre de l’Abbaye qui, six fois par saison, vient, soit en formation symphonique, soit en formation de chambre, pour travailler et donner des concerts.(1)

Le Bâteau Ivre, invité des "Préludes" 2025 © Alexias & Ferdinand
"Les Préludes" : un festival en juin
«Enfin, je voudrais mettre l’accent sur un festival qui a lieu en juin et que nous avons appelé « Les Préludes ». Nous proposons là à de jeunes musiciens de faire des tournées de trois concerts sur des communes autour de Saintes. Nous recevons cette année le remarquable quintette Le Bateau Ivre, le non moins talentueux quatuor de saxophones Synthèse Quartet, qui réalise d’incroyables arrangements de pages des XVIIIe et XIXe siècles. La musique ancienne a aussi sa place avec l’Ensemble Procris. Ces concerts en milieu rural – en entrée libre – sont l’occasion de moments un peu hors du temps avant que n’arrive juillet et le Festival de Saintes proprement dit, qui fait en quelque sorte figure de point d’orgue, pareil une grande cadence au terme de la saison. »
« Si l’on fait l’addition de tous les événements, ce sont une vingtaine de dates musicales qui sont proposées tout au long de l’année au public saintais, et pas seulement car des mélomanes venus des départements limitrophes nous rejoignent pour des concerts qui donnent lieu aussi à des actions de médiation avec le milieu scolaire, etc. L’Abbaye aux Dames est un lieu qui vit tout le temps et j’en suis particulièrement heureux ! ».
Propos recueillis par Alain Cochard le 28 mai 2025

(2) musique.abbayeauxdames.org/les-preludes/
54e Festival de Saintes
Du 12 au 19 juillet 2025
musique.abbayeauxdames.org/agenda/festival-de-saintes-2025/
Photo © Esteban Martin
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