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59e Concours international de jeunes chefs d’orchestre de Besançon – L’Asie en force – Compte-rendu

Chaque mois de septembre, le Festival international de Besançon met la vie culturelle de la cité franc-comtoise en effervescence, avec une intensité plus particulière une année sur deux puisque le Concours international de jeunes chefs d’orchestre, né en 1951 et partie intégrante de la manifestation, se déroule à un rythme biennal (ce depuis 1992, il était annuel auparavant). 2025 est une année avec et les membres de la presse asiatique que l’on croise dans le train qui nous mène à Besançon témoignent de l’intérêt que l’événement suscite bien au-delà de nos frontières. Le public est rendez-vous aussi, dans un théâtre Ledoux plein à craquer, et à l’extérieur puisque la finale est retransmise sur grand écran square Granvelle – temps très ensoleillé, petite laine indispensable toutefois.

Pendant les présélections à Besançon (Paul Montag, piano à g., David Berdery, piano à dr.) © Yves Petit
Un important travail de présélection
Un concours tel que celui qui s’est tenu du 22 au 27 septembre n’est que la partie visible d’un iceberg de travail et de préparation. 300 dossiers de candidature pour cette 59e édition : le chiffre témoigne de l’attrait que la compétition bisontine continue d’exercer partout dans le monde. Il donne aussi une idée de l’ampleur du travail de présélection qui a été accompli en amont par les chefs Jean-François Verdier (directeur musical d’un Orchestre Victor Hugo au rôle central dans le déroulement du Concours) et Jean-Claude Picard (pour les présélections à Montréal uniquement), et par Jaewon Kim (violoniste supersoliste à l’Orchestre national du Capitole). On s’en voudrait de les oublier – il faut aussi tirer un grand coup de chapeau aux pianistes David Berdery et Paul Montag ou Christophe Manien et Emmanuel Christien qui, selon les villes vers lesquelles les candidats convergeaient (Besançon, Séoul, Paris, Berlin, Montréal), ont fait montre d’une implication exemplaire (nous avons pu le constater, le 24 avril à la salle Cortot, en observant C. Manien et E. Christien).
Des candidats qui avaient tous leur place
Un peu de « déperdition » certes, comme dans n’importe quel concours, mais sur les 300 dossiers déposés, 261 jeunes chefs tout de même ont pris part aux présélections. Directeur du Festival et du Concours de Besançon, Jean-Michel Mathé se félicite de ce chiffre, et du « très haut niveau des candidats », avec toutefois « un petit regret sur la stagnation du nombre de femmes – on reste à 15-20 % depuis une décennie – et sur le fait qu’aucune n’a franchi le cap de la demi-finale. » Le directeur salue en revanche « la très grande préparation des candidats asiatiques », tout comme Jean-François Verdier qui met l’accent « la forte recrudescence des candidats chinois ; 55 en tout, souvent très jeunes (entre 20 et 25 ans) ». La vie musicale, elle aussi, reflète les nouveaux équilibres de la géopolitique mondiale ...
Parmi les 261 candidats auditionnés, 20 seulement étaient retenus pour figurer sur la ligne de départ à Besançon le 22 septembre (12 nationalités, 4 femmes, moyenne d’âge 28 ans). « Nous n’avons pas eu de mauvaise surprise, constate Jean-François Verdier. Ils avaient tous leur place avec des façons très différentes de diriger, ce dont on ne peut que se réjouir ; nous ne sommes pas là pour présenter des artistes formatés. ».
Si, globalement, le 59e Concours est resté fidèle au mode d’organisation des précédents, Jean-Michel Mathé pointe la nouveauté consistant à « faire participer les 20 candidats aux deux premiers tours, avec l’Orchestre Victor Hugo (la Suite de Pulcinella de Stravinski pour le I, les 1er et 4e mouvements de l’« Ecossaise » de Mendelssohn pour le II) et à ne pas « écrémer » dès le premier jour. » Excellente initiative, mais ... seuls restent huit candidats au terme de la deuxième journée.
Une compétition musicale est un parcours semé d’embûches et, si la finale joue un rôle clef, l’ensemble des épreuves de chaque candidat est pris en compte par le jury. Les très bonnes impressions de départ peuvent en effet être infirmées par la demi-finale ; une épreuve en deux volets à Besançon : « Opéra » (avec l’Orchestre Dijon Bourgogne et quatre chanteurs issus de l’Ecole Normale de Musique de Paris-Alfred Cortot : Honoka Watanabe ; Moné Kitashiro ; Timothée Moser et Benoît Dechelotte, dans six extraits de Così fan tutte) et « Concerto » (avec l’Orchestre Victor Hugo et l’archet de Nicolas Dautricourt dans Rêverie et Caprice de Berlioz et Introduction et Rondo capriccioso de Saint-Saëns).

Régis Campo, compositeur en résidence au Festival international de Besançon © Yves Petit
Berlioz, Campo et Prokofiev
De huit candidats, il n’en reste plus que trois, comme le prévoit le règlement, le 27 septembre, pour l’épreuve ultime avec la magnifique Deutsche Radio Philharmonie dont Michael Schønwandt est depuis le mois dernier premier chef invité. Et c’est au maestro danois que revient de présider un jury réunissant Cécile Agator, Régis Campo, Jaewon Kim, Catherine Larsen-Maguire, Jean-Claude Picard, Jean-François Verdier et Stephen Wright. Sa tâche est de départager (dans l’ordre de passage) Satoshi Yoneda (Japon), Kyrian Friedenberg (Etats-Unis) et Tianyi Xie (Chine) dans un programme réunissant l’ouverture de Béatrice et Bénédict de Berlioz, Delirium Scherzo de Régis Campo (une commande du Festival auprès de son actuel compositeur en résidence, en création mondiale) et cinq extraits des Suites n° 1 et 2 du Roméo et Juliette de Prokofiev (Les Montaigu et les Capulet ; Juliette jeune fille ; Masques ; Scène du balcon ; Mort de Tybalt). Autant dire des pièces très exigeantes, qu’il s’agisse de la mise en place, de la maîtrise des plans sonores et des timbres et de la capacité de parler à l’imagination de l’auditeur.

Satoshi Yoneda © Yves Petit
Fluidité et vitalité
Sur tous ces points, Satoshi Yoneda (photo) tire son épingle du jeu. À 29 ans, le candidat japonais peut se prévaloir d’une belle expérience (il a entre autres eu l’occasion de conduire le prestigieux Orchestre de la NHK). On ne peut qu’être séduit pas la fluidité et la vitalité de sa battue. Son Berlioz est plein de théâtre et de relief, d’une finesse admirable dans les détails et les coloris.
Cette identité sonore fait mouche aussi dans Delerium Scherzo. Pièce de concours ? La formule – avec ce qu’elle suppose souvent d’obligé, si ce n’est de rasant – peut faire peur. Rien à craindre avec Régis Campo qui a su concevoir une pièce ardue pour le chef – donc hautement révélatrice pour le jury ! – mais d’un plaisir d’écoute total. Premier des trois finalistes, Yoneda dirige donc la création mondiale de l’ouvrage, décrite par son auteur comme une « passacaille joyeuse et implacable, presque mécanique ». Il dompte le crescendo orchestral et les nombreux pièges d’une partition d’une douzaine de minutes, mais parvient surtout à un résultat irrésistible par la richesse et l’étonnante plasticité du son – permises par la réponse enthousiaste continûment offerte par une phalange qu’il parvient à impliquer dans sa totalité.
Pas moins convaincants, les extraits de Roméo et Juliette traduisent un profond sens narratif et dramatique, mais aussi – et sur ce point Yoneda se distingue de ses deux concurrents – une conscience de la dimension chorégraphique de la musique. À quelle émotion parvient-il au terme de la Scène du balcon ; on comprend que le public ne retienne pas ses applaudissements, même s’il reste encore la Mort de Tybalt. Le Grand Prix du 59e Concours revient de façon absolument incontestable au candidat japonais.

Kyrian Friedenberg © Yves Petit
Manque de force suggestive
Des oreilles amies – et sûres – s’étant fait l’écho d’une demi-finale opéra très réussie, nous attendions avec impatience la prestation de l’Etatsunien Kylian Friedenberg, 26 ans, là encore un jeune chef d’expérience, Prix Neeme Järvi en 2022 au Festival Menuhin de Gstaad et chef adjoint de l’Ensemble intercontemporain. D’une mise en place certes soignée, sa prestation laisse toutefois réservé par rapport à ce qui a précédé : Berlioz oublie Shakespeare, le Delirium Scherzo a certes de l’énergie mais tourne en rond et manque de diversité dans le coloris et de puissance évocatrice. Idem pour des Prokofiev, trop distanciés et de peu d’impact dramatique. Parvenir en finale du Concours de Besançon est certes un accomplissement pour tout jeune chef, mais le bilan s’avère néanmoins décevant pour un candidat qui repart sans aucun prix.

Tianyi Xie © Yves Petit
21 ans ... et un sacré tempérament !
Toutes les récompenses figurant à côté du Grand Prix, Coup de Cœur du Public, Prix de l’Orchestre et Mention spéciale reviennent en effet à Tianyi Xie. Le chef chinois referme l’épreuve finale par une prestation sans doute pas parfaite, mais qui révèle l’immense potentiel d’un musicien encore étudiant au Conservatoire Central de Musique de Beijing dans la classe de Bing Chen. Un jeune homme de 21 ans seulement qui, derrière ses grandes lunettes, cache un sacré tempérament. Tianyi Xie n’a jamais encore dirigé un orchestre du niveau de la Deutsche Radio Philharmonie et impressionne par son autorité. Si on peut lui reprocher une dimension un peu générique encore dans le résultat sonore, il faut saluer l’intense foisonnement qu’il obtient dans Berlioz, sa poigne dans la conduite de la pièce de Campo – qui, à la troisième audition, séduit toujours autant – et la générosité avec laquelle il fait sonner Prokofiev. Une baguette d’avenir à suivre de près !

De g à dr. 1er rang : Stephen Wright, Tianyi Xie, Satoshi Yoneda, Kyrian Friedenberg, Michael Schønwandt
2d rang : Jean-Michel Mathé, Catherine Larsen-Maguire, Cécile Agator, Jean-François Verdier, Régis Campo, Jean-Claude Picard © Y. Petit
Comme dans un rêve
« Un don incroyable », s’enthousiasme à son propos Jean-Michel Mathé qui, après une cérémonie de remise des prix très suivie par le public au Kursaal (et présentée, comme la finale, de façon enlevée et souriante par Clément Rochefort), ne cèle pas sa satisfaction quant à une 59e édition « extrêmement fluide, avec un président du jury très bienveillant et des membres particulièrement impliqués. » Michael Schønwandt, nous dit admirer la « conception du son très personnelle » de Satoshi Yoneda. Ce dernier – merci à la traductrice japonaise – confie « avoir vécu la semaine du concours, comme dans un rêve, mais avec une énorme pression toutefois. » On cherche à en savoir un peu plus sur la semaine passée à Besançon : « J’ai perdu huit kilos », nous lance-t-il dans un grand éclat de rire ! N’insistons pas et laissons-le prolonger un peu son rêve ... Bientôt, il lui faudra songer à assurer la vingtaine d’engagements que lui apporte son Grand Prix ...
Rendez-vous en 2027 pour la 60e édition du Concours !
Alain Cochard

Besançon, Théâtre Ledoux, 27 septembre 2025
Plus de précisions sur l’organisation du 59e Concours : festival-besancon.com/59e-concours/
Photo Satoshi Yoneda © Yves Petit
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