Journal
Les Indes galantes à la Seine musicale – La nouvelle doxa – Compte rendu

Il y a quelque temps, un obscur musicologue étasunien affirmait sans la moindre hésitation qu’il ne fallait plus jamais jouer Les Indes galantes, œuvre manifestement complice de toutes les horreurs de l’oppression colonialiste. Ce discours n’a heureusement pas été entendu, ou du moins, si nous pouvons encore apprécier le chef-d’œuvre de Rameau dans le domaine de l’opéra-ballet, c’est peut-être uniquement parce qu’est apparu, en quelques années, un phénomène qui pourrait ne pas y être étranger. Il semble en effet, au moins en région parisienne, que les œuvres scéniques de Rameau ne puissent désormais être interprétées qu’avec une solide dose de « danses urbaines » pour en contrecarrer l’idéologie néfaste. Les Paladins au Châtelet en 2006 avait en partie inauguré cette tendance, mais elle a pris depuis un tournant nettement plus radical, comme en ont témoigné, à l’Opéra de Paris, Castor et Pollux cette saison, et Les Indes galantes en 2019.

© Christophe Raynaud de Lage
C’est un écho de cette dernière production que ressuscite la Seine musicale en proposant un « concert chorégraphique sur des extraits de la musique de Jean-Philippe Rameau ». Par bonheur, la mise en scène de Clément Cogitore a disparu, ce qui nous épargne l’incohérence de sa non-lecture du livret de Fuzelier. Mais on retrouve la chorégraphie de Bintou Dembélé, exécutée par la Structure Rualité, dans des costumes de la styliste Charlotte Coffinet qui rappellent, mais en plus coloré, les tenues tout aussi « urbaines » du spectacle de Bastille ; reparaissent même, dans « Le Turc généreux », les couvertures de survie employées comme de vulgaires accessoires de mode. Peut-être grâce à la dramaturge Noémie N’Diaye, une action scénique a été mise en place, en partie conçue autour de ces néons qui éclairent la scène. Le triomphe attendu se produit, et le public en délire applaudit frénétiquement la danse du Grand Calumet de la paix, pendant laquelle les cris des danseurs et le bruit de leurs pieds couvre la plupart du temps la musique de Rameau.

© Christophe Raynaud de Lage
Cappella Mediterranea et le Chœur de chambre de Namur font eux aussi retour, avec une richesse de couleurs et un continuo inventif que les dimensions plus raisonnables de la Seine musicale permettent de goûter beaucoup mieux que le grand hangar parisien. Hélas, Leonardo García-Alarcón impose à nouveau sa réécriture de l’air « Régnez, amours, régnez », la partition de Rameau lui ayant sans doute semblé inférieure à ce qu’il était lui-même capable de composer sur les mêmes paroles. Passons sur la réduction de l’acte des Fleurs à quelques airs pour déplorer les choix de tempos du chef, qui impose un étirement insupportable des passages plus lents, alla Currentzis (le quatuor « Tendre amour » ne ressemble plus à grand-chose) et qui, le reste du temps, oblige les chanteurs à courir après leur texte pour parvenir à en prononcer toutes les syllabes avec une précipitation pénible.

Anna Quintans & Mathias Vidal © Christophe Raynaud de Lage
Les quatre solistes se tirent plus ou moins bien de ce petit jeu. Andreas Wolf prête à tous les rôles de basse (et même à Adario) une voix déliée mais dont le français encore perfectible résiste mal au rythme effréné adopté par le chef. Julie Roset possède un timbre charmant, mais sa diction n’est pas tout à fait à la hauteur des beautés qu’il dispense. Ana Quintans, en revanche, sait mobiliser une projection hors pair pour rendre intelligible le texte qu’elle est, elle aussi, obligée de bousculer. Mathias Vidal, enfin, est celui qui surmonte le mieux cette course d’obstacles, capable de douceurs infinies dans les duos Valère-Emilie, et acteur plein de drôlerie en Damon dans l’acte des Sauvages.
Laurent Bury

Jean-Philippe Rameau : Les Indes galantes – Boulogne Billancourt, La Seine musicale, 22 mai 2025
Photo © Christophe Raynaud de Lage
Derniers articles
-
23 Mai 2025Frédéric HUTMAN
-
22 Mai 2025Laurent BURY
-
22 Mai 2025Laurent BURY