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Le Jour avant l’Océan de Raphaël Cendo en création à Gennevilliers – L’instant avant le choc des cultures – Compte-rendu

Avec Le Jour avant l’Océan, Raphaël Cendo (photo, né en 1975) crée une réflexion musicale stigmatisant l’opposition entre l’hyper-culturation des sociétés occidentales et la naturalité de leur quart-monde dans une composition semi-improvisée que l’ensemble vocal Les Métaboles (récemment couronné par le Prix Liliane Bettencourt pour le chant choral), l’Ensemble Multilatérale et l’Orchestre National de Jazz d’Olivier Benoît rendent spectaculaire.

Tout est jeu d’oppositions dans la nouvelle création de R. Cendo : Le Jour avant l’Océan. Le titre d’abord : «Un pied-de-nez à la pièce La Nuit juste avant les Forêts de Bernard-Marie Koltès, que je déteste », avoue le compositeur niçois. Les textes sarcastiques de Rodrigo García, ensuite, lesquels confrontent la pusillanimité et la superficialité des nantis occidentaux au naturel et à l’engagement de ces terriens qu’on devine venir des pays en voie de développement. De leur côté, les solistes des Métaboles psalmodient de façon grotesque les textes les plus sérieux ou ânonnent les phrases alambiquées tandis que les sopranes jouent malicieusement à faire sonner le piano par de longs cris lancés dans sa caisse.

© MGrinand

La musique aussi grimace à force de contrastes : tandis que l’Ensemble Multilatérale produit avec application les sons sophistiqués et urbains de la musique contemporaine, l’Orchestre National de Jazz se délecte à modifier le son des instruments par des usages détournés ; ils envahissent l’espace musical d’improvisations au trombone, à la batterie ou à la guitare. Au bout du compte, ce sont d’ailleurs ces improvisations qui portent les mélodies au cœur des auditeurs. « Normal, justifie un des musiciens, l’improvisation suit les règles de la conversation, que celle-ci tourne à la dispute ou à l’accord ».

Ce melting pot musical fait évidemment écho à la confrontation entre l’Occident et l’Afrique et le Moyen-Orient à travers l’immigration méditerranéenne. Mais l’œuvre vise moins l’exotisme que l’introspection et c’est tout le mérite du compositeur et du chef L. Warynski que de réussir à en faire une pièce passionnante par ses sautes de rythme et ses suggestions : on entend le sable qui s’écoule dans le temps, la mer dont les flots grondant dévorent peu à peu la terre, les vacuités qui se créent au fil des effondrements successifs. Aussi bien, l’œuvre, qui est le résultat d’un travail de trois années pour associer l’improvisation au texte et à la musique, ne doit rien au hasard. Les sons deviennent sens et les sens créent des images qui, ajoutées à la gestuelle très expressive du chef et aux interventions des solistes musiciens et chanteurs, rendent ce concert particulièrement réussi et spectaculaire. « On espère que Raphaël ajoutera des textes pour prolonger ce concert », lance L. Warynski au compositeur. « C’est prévu », répond R. Cendo. Rendez-vous, donc, au prochain concert !

Michel Grinand

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Gennevilliers, église Sainte Marie-Madeleine, 29 juin 2018
 
Prochains concerts des Métaboles : lesmetaboles.fr/fr/agenda-a-venir

Photo © DR
 

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