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« Voûtes romanes pour voix d’hommes » par le Chœur de chambre Spirito au Festival de La Chaise-Dieu 2021 – Masculin pluriel – Compte-rendu

Pour le concert du chœur de chambre Spirito à la Collégiale Saint-Georges, Nicole Corti (photo) a choisi de nous révéler « d’Om le vrai sens », puisque Ôm est le titre qu’elle a donné à ce programme, là où les organisateurs du festival de La Chaise-Dieu ont choisi une appellation plus longue mais plus explicite. « Ôm » comme dans la formule bouddhiste « Ôm mani padme hum », mantra de la grande compassion, mais aussi homophone du mot « homme », puisque ce concert ne fait chanter que vingt messieurs, sans une seule voix féminine.
 
Voix masculines, mais voix allant des tessitures les plus aiguës aux plus graves, puisqu’aux habituels ténors, barytons et basses s’adjoignent trois contre-ténors, dans un répertoire mêlant allègrement le profane au sacré, le populaire au savant, et l’ancien au moderne. La présence de contre-ténors permet aussi de s’affranchir de certaines contraintes, puisque le programme inclut plusieurs compositions initialement destinées à des chœurs mixtes ou même à des voix exclusivement féminines. Liberté totale, donc, dans l’appropriation des œuvres ; liberté que justifie le caractère totalement convaincant d’un résultat qui, plus d’une fois, plonge l’auditeur dans un univers sonore aussi envoûtant que déconcertant.
 
Naturellement, la musique d’inspiration religieuse est très présente, depuis l’Ecce Maria de Praetorius qui ouvre la soirée jusqu’à la pièce de Kodály qui le conclut, Esti Dal, sorte de prière du voyageur à laquelle la voix des trois contre-ténors à l’unisson confère une fascinante étrangeté, tandis que les autres pupitres se bornent à assurer l’accompagnement (c’est cette même pièce que Nicole Corti choisira d’ailleurs comme deuxième bis du concert, réitérant la magie sur laquelle le programme officiel s’était terminé). Religieuses aussi, ces polyphonies corses qui émaillent la soirée, tout comme les Quatre petites prières de saint François d’Assise de Poulenc, données non d’une traite mais dispersées.
 

© Bertrand Pichène
 
Rien de religieux en revanche dans Les Soirs de Moscou, alias Le Temps du Muguet, qu’on entend aussi tout au long du concert, d’abord comme une simple mélodie bouche fermée, puis dans une version harmonisée ; ce sera plus tard le premier bis accordé à un public enthousiaste. Encore moins religieux (encore que…), l’extrait de la cantate Fidélité de Chostakovitch, composée en 1970 sur des textes du très soviétique poète Evguéni Dolmatovski. Superbement profane, et admirablement arrangé par Henri-Charles Bonnet, Gentils galants de France (1504), où intervient une percussion, seul instrument utilisé pour ce concert. Si les Cinq chants populaires slovaques de Bartók étonnent presque par la sagesse de leur harmonisation, Rimski-Korsakov semble bien plus audacieux dans la mélodie extraite de ses Quinze Chants populaires russes.
 
Deux OVNIs, enfin, marquent de leur empreinte indélébile. D’abord, une œuvre spécialement composée pour l’occasion, Ancienne chanson corse : portrait imaginaire, du Mexicain Xavier Torres Maldonado (né en 1968), polyphonie joyeusement atonale où se superposent les voix de manière à faire perdre tout repère à l’auditeur. Ensuite, et surtout, « Nuées », troisième des Quatre Chœurs composés en 1987 par Maurice Ohana, dont la hardiesse est rendue plus impressionnante encore par le déplacement des chanteurs. La mise en espace signée Thomas Guerry les avait jusque-là conduit à changer de disposition pour chaque pièce, mais tout en restant dans l’abside de la collégiale Saint-Georges ; pour cette page magistrale d’Ohana, ils en viennent bientôt à arpenter tout l’édifice par ses travées latérales et centrale, troublante expérience de spatialisation du son.
L’oreille et l’esprit sont comblés ; mission accomplie pour ce programme d’un éclectisme courageux, pour les vingt chanteurs jamais pris en défaut et pour leur non moins vaillante cheffe.
 
Laurent Bury

Saint-Paulien, Collégiale Saint-Georges, 23 août 2021 / Festival de La Chaise-Dieu, jusqu’au 29 août : www.chaise-dieu.com
 
Photo © Bertrand Pichène

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