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​ Volodia van Keulen et Christelle Abinasr à la Salle Cortot – Engagement total – Compte rendu

 

Sitôt prononcé, le nom du violoncelliste Volodia van Keulen est associé à la musique de chambre. On le relie d’abord au Trio Messiaen dont il est l’un des membres fondateurs, mais à bien d’autres aventures chambristes encore, comme par exemple le Katok Ensemble (au sein duquel il côtoie les archets de Paul Serri, Schuichi Okada, Anna Sypniewski et Justine Metral) qui a livré il y a peu (chez b.records) un magnifique double CD Schubert-Beethoven (le premier maillon de la discographie d’une formation créée en 2019 par le violoniste P. Serri).

Faire parler le son

Van Keulen est de ceux qui font parler le son, le matériau sonore plutôt, qu’il parvient à continûment façonner en fonction du caractère de la musique, du sentiment. Il en a donné l'exemple à la salle Cortot avec la pianiste Christelle Abinasr, artiste qui s’est entre autres fait remarquer en soliste par des enregistrements de musique latino-américaine chez Fy-Solstice. Qu’il s’agisse de l’accompagnement vocal ou de la musique de chambre, elle montre aussi un goût prononcé pour le partage musical. Quelques jours après un concert à Marseille, elle était à nouveau au côté de Volodia van Keulen à la salle Cortot dans un séduisant et dense programme réunissant des pages de Tsintasadze, Franck, Schnitttke et Piazzolla.

Entrée en matière pour le moins originale avec les Cinq Pièces sur des thèmes folkloriques de Sulkhan Tsintasadze (1925-1991). Un recueil daté de 1950 où le compositeur géorgien –  violoncelliste de formation – fait appel à des motifs folkloriques pour un résultat évocateur et plein de relief. De la vocalité rêveuse du n° 1 à la course effrénée de la danse conclusive, les deux instrumentistes se régalent des humeurs changeantes et de la saveur harmonique de ce cahier méconnu – où, même sans le prendre dans sa totalité, les interprètes pourraient trouver d’originales idées de bis ...
 
Après le rare, le plus que célèbre : la Sonate de César Franck. Nul ne se plaint de la retrouver quand elle est servie avec une aussi belle complicité. Et, plus encore, avec une intelligence musicale qui sait donner toute sa signification poétique et humaine à la fameuse forme cyclique chère à l’auteur. On le comprend en écoutant le finale, profondément émouvant, comme empli des souvenirs d’une vie ...

 

@ Étienne Thomas-Derevoge 

Coup de poing émotionnel 

En seconde partie, un redoutable face à face avec la musique attend le duo. La Sonate n°1 (1978) d’Alfred Schnittke n’encombre pas les programmes car rares sont ceux qui osent se confronter à une partition aussi exigeante, dédié rappelons-le à la grande Natalia Gutman, qui la créa avec Vasily Lobanov à Moscou en 1979 – rappel qui suffit à situer le niveau de l’enjeu ...
D’emblée on comprend que les interprètes plongent au cœur leur sujet, prêts à en assumer tous les risques, tout ce que cette partition comporte de terrible. Après l’oppressante descente dans la noire étrangeté du Largo, on est proprement saisi par le tourbillon fantastique du Presto central, assumé avec une précision rythmique et un engagement dramatique époustouflants. Comme un cauchemar auquel ferait suite le vaste Largo final, pareil à la terrible et implacable réalité d’un matin blême. Implication totale du duo, pour un véritable coup de poing émotionnel !
Après que les interprètes et le public ont repris leur souffle, le Grand Tango et Libertango de Piazzolla ramènent lumière et optimisme avec autant de couleurs que d'énergie rythmique.
 
Des lieder de Schumann (op. 39 nos 1 et 7) et de Schubert (Der Müller und der Bach), arrangés pour violoncelle et piano, forment une généreuse séance de bis au terme d’une soirée chambriste chaleureusement accueillie. On espère avoir vite l’occasion d’apprécier à nouveau l’entente de Volodia van Keulen et Christelle Abinasr.
 
Alain Cochard
 

Paris, Salle Cortot, 3 mai 2025

Photo ©  Étienne Thomas-Derevoge 

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