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Vittorio Forte en récital aux Nuits du Piano / Salle Cortot – Princière élégance – Compte-rendu
Vittorio Forte en récital aux Nuits du Piano / Salle Cortot – Princière élégance – Compte-rendu
Tandis que de grosses institutions, gâtées par la subvention publique, fonctionnent en mode zéro découverte (avec, de surcroît, fréquente activation de l’option vieilles-gloires-l’éternel-retour), qu’il est agréable de voir des organisateurs aux moyens infiniment plus modestes miser sur des interprètes moins médiatiques. Vittorio Forte n’est certes pas un inconnu parmi les mélomanes les plus curieux de l’univers pianistique, mais ne jouit pas encore d’une renommée à la mesure de son talent, immense.
L’entrée en scène de l'artiste, souriant, visiblement heureux du lien qu'il s'apprête à nouer avec le public (dans une salle où il se produit pour la première fois), est déjà en soi un moment de bonheur. Intermezzi op. 117 de Brahms : pas un instant de « mise en train », pas une once de tension, dès la première croche de l’Andante moderato Forte est au cœur de la musique et embarque l’auditeur avec autant de justesse dans le phrasé et le timbre que de simplicité dans le chant. On n’est pas moins séduit par le n° 2, un Andante que l’interprète envisage vraiment non troppo – tel que Brahms le réclame – fluide et naturel. Le piano de Vittorio Forte raconte toujours : sous ses doigts l’Andante con moto conclusif se mue en une sorte de conte fantastique plein de secrets et d’arrière-plans : une merveille !
Ainsi pensé, Brahms offre la meilleure introduction au Schumann des Kreisleriana. Aucune « hystérisation » de la musique : si Kreisler, le maître de chapelle d’ETA Hoffmann, inspire le compositeur, l’interprète n’oublie jamais que la leçon de polyphonie de Bach demeure son point de référence suprême. Assis sur une main gauche très présente et expressive, son jeu sonde le texte, y débusque des détails insoupçonnés, et lui imprime une vie qui, conjuguée à une grande intelligence de la progression dramatique (et donc de l’organisation formelle de l’Opus 16), fait de ces Kreisleriana une prenante expérience poétique fuyant les effet racoleurs pour toujours privilégier le sentiment et le rêve.
Dernier rendez-vous de la saison 22/23 des Nuits du Piano à Cortot, série dont on doit l’initiative à Patrice Moracchini, le récital de Vittorio Forte accompagne la sortie de son nouvel enregistrement (1) – admirable – entièrement occupé par des pages d’un fabuleux compositeur russe, trop méconnu, contemporain et grand ami de Rachmaninoff : Nikolai Medtner (1880-1951).
Nikolai Medtner (1880-1951)
Les Mélodies oubliés (1ère série) op. 38 occupent la seconde partie de soirée. Si le n° 1 de la série, la Sonate Reminiscenza (la 10e dans le classement des quatorze sonates signées de Nikolai Karlovitch) est relativement connu, on n’entend jamais le reste du cahier, qui prend pourtant tout son sens par les échos de la Reminiscenza que l’on trouve dans les nos 6 et 8.
Incomparable musicien narrateur, Forte fait de la Reminscenza une plongée dans les tréfonds d’une lointaine mémoire et, jusqu’au terme du voyage (le n° 8 Alla Reminiscenza), nous tient en haleine par l’intensité des coloris d’une palette somptueuse, continûment accordée au caractère, qu’il s’agisse du jubilatoire bouillonnement de la Danza festiva, de la Canzone fluviale, prise avec ce qu’il faut d’abandon, ou de la Danza silvestra, légère comme une course d’elfes quand il le faut. Face à une compréhension aussi intime de l’imaginaire medtnerien, on se prend à rêver que Vittorio Forte pousse plus loin l’exploration de l'œuvre du maître russe et n’en reste pas au disque qu’il vient de signer ...
En bis : transcription lisztienne de la Frühlingsnacht de Schumann, puis savoureux arrangement (par V. Forte) du fameux Solfegietto de CPE Bach, mené avec un chic et une forme d’innocence dans la virtuosité qui rappellent la science du clavier et la princière élégance d’Earl Wild.
Alain Cochard
Les Mélodies oubliés (1ère série) op. 38 occupent la seconde partie de soirée. Si le n° 1 de la série, la Sonate Reminiscenza (la 10e dans le classement des quatorze sonates signées de Nikolai Karlovitch) est relativement connu, on n’entend jamais le reste du cahier, qui prend pourtant tout son sens par les échos de la Reminiscenza que l’on trouve dans les nos 6 et 8.
Incomparable musicien narrateur, Forte fait de la Reminscenza une plongée dans les tréfonds d’une lointaine mémoire et, jusqu’au terme du voyage (le n° 8 Alla Reminiscenza), nous tient en haleine par l’intensité des coloris d’une palette somptueuse, continûment accordée au caractère, qu’il s’agisse du jubilatoire bouillonnement de la Danza festiva, de la Canzone fluviale, prise avec ce qu’il faut d’abandon, ou de la Danza silvestra, légère comme une course d’elfes quand il le faut. Face à une compréhension aussi intime de l’imaginaire medtnerien, on se prend à rêver que Vittorio Forte pousse plus loin l’exploration de l'œuvre du maître russe et n’en reste pas au disque qu’il vient de signer ...
En bis : transcription lisztienne de la Frühlingsnacht de Schumann, puis savoureux arrangement (par V. Forte) du fameux Solfegietto de CPE Bach, mené avec un chic et une forme d’innocence dans la virtuosité qui rappellent la science du clavier et la princière élégance d’Earl Wild.
Alain Cochard
Paris, Salle Cortot, 14 avril 2023
(1) N. Medtner : Mélodies oubliées I, op. 38, 4 Fragments lyriques op. 23, 6 Skazki op.51, La Muse op. 29 n°1 (transc. Vittorio Forte) – 1 CD Odradek ODRCD 430 (dist. Socadisc)
Photo © Pollack 2022
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