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Vincent Warnier et Paul Zientara à Radio France – Les compositrices à l’honneur – Compte-rendu

 
 
À l’instar du récital de l’organiste espagnole Loreto Aramendi (Cavaillé-Coll de Santa Maria del Coro, San Sebastián), qui avait notamment mis à l’honneur, le 24 octobre, la Japonaise Karen Tanaka (en partie formée en France et en Italie), l’Allemande Dagmar Koptein et la Française Jeanne Demessieux, le concert de Noël donné par Vincent Warnier (photo) et Paul Zientara s’inscrit dans la troisième saison musicale européenne (1), initiative conjointe de l’association Elles Women Composers, de Radio France et de la BnF, en partenariat avec France Musique, saison mettant l’accent sur les compositrices. (2)
 
Vincent Warnier, qui depuis 2021 enseigne l’orgue à l’École Normale de Musique de Paris (classe nouvellement créée), y a fait entendre des raretés : Cortège de Lili Boulanger, composé pour piano en 1914 (transcrit par l’interprète), durant le séjour à la Villa Médicis ayant résulté de son Premier Grand Prix de Rome (elle fut la première femme à le remporter, en 1913), une page aussi délicieusement ondoyante que d’une concision la faisant sonner tel un songe soudainement dérobé, et le second des Préludes et fugues d’Elsa Barraine (1929, année de son Premier Grand Prix de Rome), qui s’inspirent des Psaumes, ici le Psaume de David CXVI, et de la liturgie juive : œuvre dense, d’une franche et vigoureuse construction, force et intérêt croissant s’affirmant au gré d’une amplification faisant de ce diptyque une œuvre réellement digne d’être connue et jouée.
 

L'orgue Grenzing de Radio France © Mirou
 
La soirée s’ouvrait sur le Prélude et fugue en ut majeur BWV 547 de Bach et se refermait sur une autre page d’apparat : l’Ouverture des Maîtres Chanteurs de Wagner transcrite par Edwin Lemare. Le premier sur un tempo « modéré » qui de fait s’impose pour rendre intelligible la mobilité des voix intérieures, ce dont Vincent Warnier s’acquitta avec maestria, sur une registration riche mais mesurée, pour plus de clarté, la Fugue optant pour une plénitude dans la douceur (initiale) allant crescendo. Wagner, redoutable dans cette version pour orgue qui exige d’infinies ressources instrumentales et d’énergie, fit sensation : belle évocation d’un temps où l’Amérique, notamment, ne disposant pas toujours d’orchestres mais déjà d’orgues d’esthétique orchestrale, découvraient le répertoire grâce à ce type d’adaptation superlative. Au cœur du programme, le mouvement initial de la Symphonie-Passion de Dupré : Le monde dans l’attente du Sauveur, approche troublante des fêtes de la Nativité – sombre et cinglante urgence rythmique, préfiguration de la Passion.
 

Paul Zientara © Tatiana Megevand 
 
Deux œuvres pour alto – le jeune et très impressionnant Paul Zientara – et orgue rehaussaient ce programme, dont une commande de Radio France en création mondiale : Couleurs de vie de Graciane Finzi. Cette puissante élaboration met à profit toutes les ressources techniques et expressives de l’alto et invite à un périple onirique empreint de mystère, par deux fois agité de sections véhémentes et si musicalement virtuoses, sans renoncer à une altière concentration des moyens pour une durée drastiquement contenue. L’autre œuvre est la Légende de Vincent Warnier lui-même, librement déployée, poétique et tout aussi exigeante pour les solistes. Le musicien y témoigne d’une mémoire et d’une connaissance érudites des époques de la musique et offre une page française d’aujourd’hui ouverte sur des ailleurs pétris de curiosité, partant de Fauré, Enesco ou une piquante évocation de Richard Strauss dans l’épilogue pour s’en affranchir pleinement à travers une vive cohérence dramaturgique. Dédiée à Paul Zientara, Légende avait été donnée à Saint-Étienne-du-Mont par les deux musiciens lors d’un mémorable concert d’octobre 2020.
 
En bis, Bach, pour lequel il existe sur tout instrument un rendu optimal : choral Allein Gott in der Höh’ sei Ehr’ BWV 663 (Leipzig), grande page polyphonique avec cantus firmus au ténor – enjouement et allégresse du temps de Noël.
 
Prochaine rencontre avec l’orgue de Radio France : ciné-concert Buster Keaton le 9 janvier, présenté par Serge Bromberg. Aux claviers du Grenzing : Lucile Dollat, organiste en résidence.

Michel Roubinet

(1) www.radiofrance.fr/francemusique/evenements/saison-23-24-revelations-3e-saison-musicale-europeenne-de-la-bnf-de-radio-france-6586455

(2) Série qui, le 22 janvier prochain (à 19h30 dans la Salle Ovale de la BnF/Richelieu), propose un concert-portrait de Jeanne Leleu (1898-1979) par Marie-Laure Garnier, Alexandre Pascal, Léa Hennino, Héloïse Luzzati & Célia Oneto Bensaid, parallèlement à la sortie, chez La Boîte à Pépites, d’un exceptionnel CD Leleu (Quatuor avec piano, Six Sonnets de Michel-Ange, En Italie) avec les mêmes interprètes // www.bnf.fr/fr/agenda/concert-jeanne-leleu  
 
 
Paris, Auditorium de Radio France, 19 décembre 2023
Diffusé en direct, ce concert est disponible en podcast sur France Musique :
www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/le-concert-du-soir/bach-wagner-vincent-warnier-paul-zientara-maison-de-la-radio-et-de-la-musique-paris-8043420

Photo © Paul Damon

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