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Vendée - Compte-rendu : Jordi Savall à La Chabotterie – Goûts réunis

Au cœur du Pays chouan, le Logis de La Chabotterie – non pas logis, mais vrai manoir construit du XVIème au XVIIIème siècle – accueille, chaque été, un festival à l’ancienne pour « ceux qui ont le goût exquis », comme eût dit François Couperin. Un festival de terrain pur de tout parisianisme, à l’instigation du directeur artistique Hugo Reyne et de sa valeureuse Simphonie du Marais.

D’un concert l’autre, il règne ici une qualité d’écoute dont profitent en priorité les musiciens de l’âme. Tel Jordi Savall, depuis tant d’années avocat incontournable (comme soliste ou chef de l’ensemble Hespèrion XXI et du Concert des Nations) de la cause baroque.

A la Chabotterie, c’est le seul gambiste qui opérait, à l’écoute des troublantes affinités existant entre la voix humaine et la « doulce voix » des violes. Dans la logique de cette complicité, la viole, tout comme le luth, est omniprésente au XVIIème siècle, et d’abord en Angleterre, où elle a connu un premier âge d’or, avant que la France ne prenne le relais dans la seconde moitié du siècle.

Comme le constate alors le diplomate de Richelieu André Maugars – par ailleurs excellent violiste – « les Anglois touchent la viole parfaitement », avec une pratique quasiment familiale de l’instrument (un chest of viols ou armoire à violes se remarque dans la plupart des maisons bourgeoises).

Dans cet univers de miniatures rares, c’est peu de dire que Savall est à l’aise, qui structure son récital en maître de la mise en regard et de la mosaïque. Un décor coloré se met en place, comme dans les Musicall Humours du Capitaine Tobias Hume, qui fut soldat dans l’Angleterre de la Guerre Civile et dans l’Europe de la Guerre de Trente Ans ; répertoire où notre virtuose ibérique excelle, sur le chemin menant à l’ironie désabusée des Batailles à venir de l’Austro-bohémien Biber.

Pour autant, le salut à la viole insulaire et l’inévitable hommage à Bach, par transcription interposée (Allemande et Bourrée), ne doivent pas masquer le dessein majeur de l’interprète, attentif à un juste panorama – une vitrine, en quelque sorte – des styles du temps. Ainsi le style élisabéthain, paré de grâces transalpines dans la Courante d’Alfonso II Ferrabosco, musicien d’ascendance italienne dont les Lessons comptèrent beaucoup dans le succès de la viole à la cour d’Angleterre, où servait déjà son père Alfonso I (on peut parler à leur sujet d’une très talentueuse dynastie d’immigrés). Et plus encore le goût français, à travers les emprunts à Marin Marais, Mr de Machy et les mystérieux Sieurs de Sainte-Colombe père et fils. Autant de figures pionnières du Grand-Siècle qui émergeaient magiquement de l’oubli, portées par l’archet fervent du Catalan, lequel jouait ce soir-là un joyau d’époque (de facture anglaise) à 7 cordes : la précieuse Barak Norman de 1697.

Roger Tellart

Festival « Musiques à La Chabotterie, le 28 juillet 2008.

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Photo : DR
 

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