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Valeriy Sokolov, Yoel Levi et l’ODIF à Saint-Denis - Double jeu - Compte-rendu

Belle idée pour le Festival de Saint-Denis que d’avoir confronté les deux visions de la mythique cité de la Neva : Tchaïkovski d’un côté, ses enjouements et sa profondeur glacée et désespérée, même dans son spectaculaire Concerto pour violon, fait pour faire briller le soliste : miroir des splendeurs et humeurs contrastées de sa ville, Saint-Pétersbourg.

Soixante-trois ans plus tard, en 1941, le vent de l’histoire a tourné : il souffle des orages, celui de la terreur stalinienne, celui du joug nazi, avec l’horrible et interminable siège de Leningrad, et c’est à Chostakovitch que revient d’avoir brossé en une immense fresque, l’angoisse, la mort qui enserrent la ville, et sa lente sortie d’agonie : sa 7e Symphonie, est un fleuve qui roule cadavres et bruits de bottes, un chaos qui ne laisse passer que de brèves lueurs de vie, ou des bouffées d’humour grotesque, comme il est fréquent chez l’auteur.

Les plus grandes baguettes se sont lancées à l’assaut de ce monument, dont on perçoit la lente montée comme l’édification d’une cathédrale, et qui requiert des interprètes particulièrement engagés autant qu’une direction à la fois analytique et synthétique. L’Orchestre d’Ile-de-France a ici montré qu’il se hausse désormais au niveau des plus grands, sous la baguette d’un chef qui donne toute sa foi et son énergie, avec une gradation subtile des volumes et de la dynamique, si complexe dans l’Opus 60. Certes, Yoel Levi est une grande avancée dans l’histoire de cet orchestre, qu’il conduit ici sans partition, ce qui impressionne toujours le public quand il s’agit d’une œuvre aussi énorme que la Symphonie « Leningrad ».

Le malheur des gens fait donc le bonheur des mélomanes, car l’émotion était grande à la fin de cette splendide exécution, alors que le Concerto de Tchaïkovski, joué par le jeune prodige Valeriy Sokolov (photo), vingt-deux ans mais déjà dix années de carrière, avait un peu déçu, malgré le velours d’une sonorité charnue, et l’éclat d’une virtuosité un peu trop affirmée. Il y a manquait peut-être l’essentiel : l’expression, la musicalité du phrasé, car ne faut-il mieux pas penser juste et jouer moins juste que le contraire ?

Jacqueline Thuilleux

Festival de Saint-Denis, Basilique, 22 juin 2011

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