Journal
Une soirée chez Offenbach au Théâtre de Passy – Haut les cœurs – Compte-rendu
C’est craquant, à croquer, et surtout bien croqué ! Voilà la chose, déjà présentée en région avec le plus vif succès : un certain Monsieur Offenbach reçoit chez lui une princesse un peu éméchée, qui entame une idylle avec son domestique, tandis que le maître queux de la maison, coiffé d’une toque et installé au piano – pas à queue – scande l’aventure. En fait, l’acteur et metteur en scène Martin Loizillon, complice de Nicolas Rigas, lequel est aux commandes de l’action, a regroupé quelques airs fameux d’Offenbach et les a replacés sur une mince trame, où ils s’enchaînent à un rythme délirant, et dans un climat de loufoquerie totale, bien digne de l’auteur du fameux défilé des rois de la Guerre de Troie dans la Belle Hélène.
© Philippe Branet
Pour décor, un canapé, un peu de velours, pour costumes, un rien de jaquette, de gilet rayé et de robe du soir avec écharpe virevoltante. A dire vrai, une leçon de bonheur pétulant dans sa simplicité, sa souplesse scénique et drolatique, avec un brin de coquinerie, et qui jamais ne tombe dans les excès de l’affectation, ou les ridicules du théâtre quand il se veut démonstratif.
En fait, cette Soirée chez Offenbach, c’est une montgolfière : on monte dans la nacelle et on s’élève doucement, au dessus des contingences, des préjugés, des soucis, de l’air du temps, qui de mauvais devient parfumé, les enfants (car il y en a) s’esclaffent, les adultes s’enchantent de retrouver note à note ces airs divins qui se sont incrustées dans les têtes, ou vont le faire : de Kleinzach, délicieusement évoqué avec les bras tout bêtement enfilés dans les chaussures, aux émois glamoureux de la Belle Hélène – « Ce n’est qu’un rêve » -, des bruits de bottes du Capitaine Boum Boum et des excitations de la Grande Duchesse de Gerolstein à la grâce capiteuse de la Périchole. En outre, comme les auteurs de ce petit digest sont de fins connaisseurs, on y entend même un air resté dans l’ombre, et tiré de la Vie Parisienne, dont il est généralement coupé. Le rire, mais aussi la beauté : l’ombre d’ Hoffmann passe, mais sans son mal de vivre.
Car il faut dire que les artistes en présence, trois chanteurs et un pianiste – l’excellent Félix Ramos - sont irrésistibles, et ont déjà largement fait leurs preuves : le soir où nous y étions, l’éclaboussante Clémentine Decouture, à l’incroyable abattage, pétillante, tourbillonnante, avec ses petits talons, ses bras de sirène et son écharpe en folie, enfilait des airs redoutables avec une facilité déconcertante. Le flegmatique ténor Xavier Flabat, lui, surprenait et déchaînait les rires avec l’air du Brésilien de la Vie Parisienne, Quant au seigneur du lieu, Nicolas Rigas, doublement en piste puisqu’il incarnait un Offenbach bougonnant, mais qu’il dirige aussi le Théâtre du Petit Monde (1), producteur du spectacle, on était saisi par l’éclat d’une voix déjà remarquée sur nombre de scènes internationales, sa richesse de nuances, sa diction limpide. Avec cette ampleur de moyens qui faisaient exploser la petite salle, il captivait, jouant de son physique drôlement berliozien et de son aisance d’homme de théâtre autant que de chanteur, car il s’agit là d’un tempérament scénique autant que d’un formidable baryton, à peine sorti de son Onéguine à Cluj, en Roumanie. C’est dire…
Tout cela servi avec la meilleure humeur, le meilleur goût, la jouissance des idées plutôt que du pétrole. Voici un nouvel Illustre Théâtre, chantant celui-là, sachant faire vivre le grand art en le rendant accessible, et qui a enflammé la salle. Petit lieu, petite scène, petits moyens, grande musique et sincérité absolue des artistes. Trop brève, cette heure et quart !
Jacqueline Thuilleux
Une soirée chez Offenbach - Paris, Théâtre de Passy, 19 février ; prochaines représentations les lundis à 19 h et les samedis à 16 heures, jusqu’au 29 avril 2024 // www.theatredepassy.fr
Photo © Pierre-Antoine Chaumien
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