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Une interview de Nicole Cabell, soprano - « J’ai toujours rêvé de chanter Mimi »

« Californian girl » comme elle se définit elle-même en plaisantant, Nicole Cabell débute à l’Opéra Bastille avec une prise de rôle importante : celle de Mimi dans La Bohème. Soprano lyrique au parcours riche et régulier, applaudie en Leila, Juliette et Giulietta, Violetta et Donna Elvira, cette ancienne Musetta attend beaucoup de cette première confrontation avec une héroïne dont elle rêve depuis longtemps. Elle a répondu à nos questions à quelques heures du grand jour.
 
Contrairement à votre collègue Ana Maria Martinez, vous êtes à Paris pour faire vos débuts à l'Opéra Bastille avec votre première Mimi. Selon vous La Bohème est-elle la meilleure partition pour débuter sur une scène aussi prestigieuse ?

Nicole CABELL : J'aimerai le croire, mais vous savez tant que nous n'avons pas testé notre travail dans les conditions du spectacle, face au public, on ne peut jurer de rien. Ce que je sais c'est que Mimi est le rôle dont j'ai toujours rêvé et ce rêve va enfin pouvoir être exaucé. Tout s'est déroulé parfaitement jusqu’ici, nous avons beaucoup répété, nous sommes parfaitement préparés et je ressens cette première avec une certaine intensité. Je ne peux pas imaginer mieux, je suis heureuse de me retrouver à Paris car pour moi c'est vraiment le top niveau. Je ne sais pas à l'heure où je vous parle si je chanterai de nombreuses fois Mimi par la suite, peut être que je ne la chanterai plus du tout (rires), mais j'ai tellement espéré ce moment, surtout lorsque j’interprétais Musetta, que j'ai le sentiment de la connaître intimement.

Pouvez-vous me dire quels sont les éléments les plus importants que doit posséder une soprano pour être une bonne Mimi ?

N.C. : Je pense qu'il faut être en mesure de mettre en avant sa force et sa vulnérabilité et d’équilibrer ces deux données, car si elle est malade c'est uniquement son corps qui souffre sans que son caractère n'en soit altéré. Il faut que la voix possède cette robustesse et cette douceur pour faire ressortir le combat qu'elle mène et qui se traduit musicalement par un orchestre qu'il faut apprendre à soutenir. Mimi est un de ces rôles qui conviennent à des voix très différentes, de vraies spinti peuvent y faire des merveilles, de grandes voix comme Freni s'y sont illustrées de manière magnifique et avec un instrument plus humble, je voudrais réussir à remporter ce grand défi qui m'attend.

Pensez-vous qu'il soit nécessaire d'avoir abordé Musetta pour être une Mimi complète ?

N.C. : Cela dépend vraiment des interprètes. J'ai beaucoup fréquenté Musetta par le passé et si je me sens proche musicalement du rôle, le personnage est à l'opposé de ma personnalité. Elle a du panache, mais c'est une intrigante. A vrai dire en l'interprétant je n'avais d'yeux et d’oreilles que pour Mimi. Pour moi c'est une bonne transition et je ne peux pas dire aujourd'hui si j'aurais envie de revenir à ce rôle ; ce serait je pense, synonyme de retour en arrière. Mais je ne minimise pas le fait qu'il s'agisse pour moi d'un vrai challenge, car j'espère pouvoir passer l'orchestre sans avoir à forcer ma voix et interpréter Mimi avec naturel. J'ai quelques craintes, mais je dois penser à l’évolution de ma carrière.

Ana Maria Martinez me disait combien elle était heureuse de chanter La Bohème ici à Paris, qui plus est en décembre, exactement où et quand l'histoire à lieu. Ressentez-vous la même satisfaction ?

N.C. : Certainement. Nous avons une chance incroyable de nous retrouver à Paris et de pouvoir imaginer ce que pouvait être la vie à l'époque du drame, le froid, la faim, le manque d'argent. Cela nous aide beaucoup dans notre recherche.

De grandes cantatrices du passé comme Tebaldi, Scotto, Freni ou Cotrubas ont conservé Mimi tout au long de leur carrière, sans doute par ce qu’il s'agit d'un des rôles les mieux écrits par Puccini en termes de théâtre et de musique. Pensez-vous pouvoir en faire autant ?

N.C. : Je pense qu'avec une voix lyrique comme la mienne cela devrait être possible, mais j'ai 37 ans et si j'avais débuté avec Mimi, avant Musetta, j'aurais déjà une longue expérience. J'espère pouvoir aller vers ce rôle sans avoir à lutter contre l'orchestre, ce qui pourrait m'être fatal. Je chante Violetta un rôle plus long et plus difficile avec un registre bien plus large, mais je sais que Mimi va m'obliger à prendre garde à l'acoustique de la salle, aux intentions du chef, pour ne pas me laisser dépasser.
Chanter Mimi après 50 ans ? Pourquoi pas, si ma voix est encore fraîche, mais j'aurais des scrupules si mes accents devenaient laids et vieux, cela irait contre le personnage. Ce que je sais c'est que Mimi arrive au bon moment et cela me réjouit. Vous savez pour moi qui suis une « Californian girl », heureuse de vivre, simple, enjouée et relax, j'ai des points communs avec Mimi qui, comme je vous le disais, n'est pas calculatrice comme peut l'être Musetta. Mimi est juste gentille et passionnée.
 Ici à Paris ce sera un bon test ; je sais que j'ai ce rôle dans le sang, dans la peau et même si je ne fais pas l'unanimité, je crois que le public ressentira qu'il n'y a chez moi aucune prétention à chercher à être quelqu'un d'autre que ce je suis. J’ai l’habitude de dire que si l'on croit vraiment à ce que l'on fait dans un rôle, la voix suit et tout vient naturellement. Il suffit d’être simple et tout se passe bien.

Vous jouez dans la production de Jonathan Miller que vous répétez depuis plusieurs jours avec l’ensemble de la distribution. Comment faites-vous et vous sentez-vous lorsque qu’aucun service de répétition scénique n'est prévu, comme cela se pratique en Allemagne et en Autriche notamment ?

N.C. : Quand j'ai peu de temps pour répéter, je suis nerveuse, mais cela fait partie de mon travail depuis longtemps et j'avoue m'y être habituée. Il nous arrive de découvrir le décor, ou le ténor une fois sur scène ! Plus le temps passe et plus je trouve cela amusant, stimulant même, car nous devons trouver les solutions sur le vif, éviter d'être mécanique et l'excitation a parfois du bon, je vous assure. Bien sûr la pression est là, mais avec l'expérience nous parvenons à dépasser ce stade.
Mais attention, il faut toujours veiller à contrôler nos émotions, nos inquiétudes car nous devons satisfaire le public, lui faire ce cadeau qu'il est venu chercher. Parfois nous ne savons même pas comment notre voix va se marier à celle de notre partenaire, comment elle va réagir à l’acoustique de la salle, mais nous devons avancer. Il est souvent préférable d'avoir chanté l'ouvrage précédemment, mais vous savez même à la Bastille où nous avons eu du temps pour répéter, je viens seulement d’apprendre qui allait être mon Rodolfo, suite à la défection du premier. Vous voyez tout peut arriver.

Quels sont les autres rôles pucciniens que vous avez envie d'aborder ?

N.C. : Ma voix n'est pas celle d'un spinto, ce qui va limiter les rôles. Mimi est ma limite, alors Manon Lescaut, Butterfly ou Tosca qui me font rêver, resteront à l'état de fantasme. Je suis sûre que Mimi va m'apporter beaucoup de bonheur et puis d'ici cinq ans je pense pouvoir essayer la Desdemona de Verdi. Il me reste Mozart et la musique française, je ne risque pas de m'ennuyer.
 
Propos recueillis et traduits de l’anglais par François Lesueur, le 10 décembre 2014
 
1ère de Bohème à la Bastille avec Nicole Cabell et Vittorio Grigolo le 15 décembre (dernière le 30/12/2014). www.concertclassic.com/concert/la-boheme-de-puccini-bastille

Photo © www.nicole-cabell.com

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