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Une interview de Nicolas Stavy – En balade chez Fauré

Amoureux de répertoires peu fréquentés, le pianiste Nicolas Stavy vient d’enregistrer pour BIS un disque consacré à Gabriel Fauré (1), qui met en regard des pages fameuses du compositeur français et des inédits de jeunesse. Entretien avec un musicien à la curiosité sans cesse en éveil et ouvert aux autres arts, tandis qu’approchent des concerts à l’Abbaye de Flaran (le 31 mars), au Théâtre Impérial de Compiègne (le 4 avril) et à la Bibliothèque Nationale de France (le 9 avril)

De quand date votre intérêt pour Gabriel Fauré ?
 
Nicolas STAVY : A vrai dire, durant mes études, y compris au Conservatoire de Genève avec Dominique Merlet, je n’ai pas eu l’occasion d’aborder le répertoire fauréen hormis adolescent quelques rares pages, dont Thème et Variations. Ensuite j’ai été lauréat du Concours Chopin de Varsovie, du Concours de Genève et du Gina Bachauer de Salt Lake City où Fauré n’était pas inscrit au programme des épreuves. Puis je me suis orienté vers la musique allemande, laissant en jachère Debussy, Ravel ou Fauré, même si j’ai fait une incursion du côté d’Hélène de Montgeroult (1764-1836), une compositrice préromantique alors inconnue.

Sonate n° 5 (1863) - 1er mvt (ext.)

Avec ce disque Fauré, j’ai voulu mettre en évidence les filiations du compositeur avec Chopin et Liszt, ainsi qu’avec les formes qui leur étaient chères ; la ballade, le nocturne, la mazurka… Il y a par exemple une véritable connexion entre les Nocturnes de Fauré et la 3èmeConsolation de Liszt. Quant à la Ballade, cela se passe de commentaires. J’ai envisagé la thématique de ce CD comme une « balade » à travers l’œuvre de Fauré depuis ses réalisations de jeunesse jusqu’au 13èmeNocturne, de 1921. A la Bibliothèque Nationale, j’ai pu accéder à des partitions que l’on n’avait jamais explorées ; c’est en fait Jean-Pierre Bartoli (directeur du département de musicologie à la Sorbonne) qui l’a rendu possible car il participe à la nouvelle édition scientifique de la musique pour piano de Fauré prévue chez Bärenreiter. Cela m’a ouvert des horizons sur des inédits du compositeur comme la Sonate n° 5 (de 1863), à la manière de Mozart, Beethoven ou Haydn, la Mazurke à la manière de Chopin. Pour rester dans des pièces relativement précoces, mais plus connues celles-là, les trois Romances sans paroles (1883) annoncent étrangement le Fauré de la maturité. On y perçoit déjà furtivement l’écriture des Nocturnes, voire de la Ballade, une œuvre dense et complexe proche de Schumann, un auteur que Fauré vénérait. Elle demande un grand effort de mémorisation ; je vais jouer prochainement la version orchestrale mais je préfère celle pour piano seul, qui possède une beauté d’écriture sans pareille et surtout une noblesse de ligne incomparable.

 Nocturne n° 1 (ext.)
 

© Jean-Baptiste Millot
 

Comment envisagez-vous votre relation avec la littérature ?
 
N. S. : Je ne peux passer uniquement mes journées devant le clavier sans m’intéresser à la peinture, au cinéma, au roman ou à la poésie ; je ne perçois pas l’interprétation d’une œuvre musicale sans avoir une connaissance transversale des arts de la même époque. J’ai collaboré très tôt au théâtre avec des comédiens, en particulier Robin Renucci qui mêlait sa voix poignante à des pages de Chopin que j’interprétais dans « Le Pianiste », d’après le récit de W. Szpilman. Depuis, je n’ai jamais cessé en plus de ma carrière soliste de me captiver pour ce genre d’échange.
Toujours avec Robin Renucci, qui dirige les Tréteaux de France, nous avons conçu une autre thématique « L’Enfance à l’œuvre »(2), un spectacle créé à Avignon en 2017. Actuellement, je participe avec l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt à un spectacle autour de son livre « Madame Pylinska et le secret de Chopin » et me réjouis de cette collaboration. C’est un auteur passionné par la musique qui connaît très bien les interprètes et parle merveilleusement du piano. Nous entretenons un dialogue où le texte n’a pas nécessairement de relation intime avec les pages de Chopin que je joue ; des Ballades, Nocturnes et même une transcription de quelques motifs des deux Concertos pour piano réalisée par mes soins. Il y entre une part importante de subjectivité mais qui fonctionne très bien à travers un conte initiatique où la musique apprend à vivre et à aimer.  Toujours dans le domaine de la passerelle entre les arts, j’ai le privilège d’accompagner Karine Deshayes dans des récitals où la musique française tient une grande place avec Fauré et Duparc. Nous nous sommes rencontrés à l’Auditorium de l’Opéra Bastille grâce à la série de concerts qu’organisait alors Christophe Ghristi, et depuis nous avons poursuivi notre association. Ce qui m’intéresse dans le clavier tient à la vocalité et à une rhétorique dont les mots sont absents, alors que cela devient possible dans l’interaction entre le chant et le piano.

Ballade op. 19 (ext.)
 
Quels sont vos projets immédiats et à un peu plus long terme ?

N.S. : Avant la période estivale, je donnerai des récitals en France autour de mon disque Fauré, ainsi que des programmes conjuguant musique et littérature. Du 22 au 25 août je m’occuperai d’un nouveau festival à Sarlat en Dordogne dans un lieu chargé d’histoire : la Chapelle des Pénitents blancs qui a été réhabilitée en plein centre de la ville ; l’acoustique y est formidable grâce à un plafond en bois de châtaignier du XVIIe siècle. La mairie de Sarlat s’est engagée à me soutenir dans cette entreprise avec une équipe. En fin d’été, il y aura toujours un public fervent susceptible de partager sa passion avec les musiciens que j’ai invités. Outre Jean-Claude Pennetier, qui joue Fauré comme personne, on pourra entendre Lydia Shelley du Quatuor Voce ou Ludmila Berlinskaïa.
En studio, après Fauré auquel je reviendrai sûrement plus tard, deux parutions verront le jour dont la première à connotation thématique, toujours pour le label BIS qui me laisse une grande liberté de proposition. D’autre part, à partir du 29 août, le spectacle « Madame Pylinska et le secret de Chopin » d’Eric-Emmanuel Schmitt sera présenté trente fois au Théâtre Rive Gauche (Paris 75014 ndlr). Dans un avenir plus lointain, un projet est en cours avec Didier Sandre, mais il est trop tôt pour en parler. 

Propos recueillis par Michel Le Naour le 13 mars 2019

(1) BIS 2389-SACD

(2) www.concertclassic.com/article/robin-renucci-et-nicolas-stavy-creent-lenfance-loeuvre-au-festival-davignon-lencre-des
 
Site et calendrier des concerts de Nicolas Stavy : http://www.nicolasstavy.com/

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