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Une interview de Max Emanuel Cencic – Hasse retrouvé

Mandane dans l’Artaserse de Vinci c’était lui, mais les amoureux du chant baroque le suivent depuis ses éblouissants disques Scarlatti parus chez Capriccio. Après quelques intégrales lyriques haendéliennes passionnantes, de Fernando re di castiglia à Alessandro en passant par Rodrigo et Faramondo, c’est l’art de l’autre « Caro Sassone »,  Johann Adolf Hasse (1699-1783), qu’il dévoile dans un splendide disque monographique(1) enregistré avec l’ensemble Armonia Atenea conduit par George Petrou : Max Emmanuel Cencic  y atteint à une nouvelle plénitude, vocale comme artistique.
Jeudi 30 janvier le chanteur et le chef grec seront sur la scène de l’Arsenal de Metz pour un récital entièrement dédié à Hasse. On retrouvera peu après les artistes dans des pages de Hasse, Jommelli, Galuppi et Gluck à l’Opéra de Monte-Carlo Monte Carlo (1er février) puis au Grand Théâtre de Provence d’Aix (12 février). Changement de répertoire pour Max Emanuel Cencic à Paris le 10 février (Théâtre du Palais Royal) puisqu’il interprète Rossini, Donizetti, Mozart et J. Strauss, accompagné par le piano de Megumi Otsuka
 
Quel souvenir avez-vous gardé de votre temps de Knabensopran, lorsque vous enregistriez l’Ange Gabriel de La Création de Haydn (2) avec les Wiener Sängerknaben  ou le finale de la 4e de Mahler à Ljubjana sous la direction d’Anton Nanut (3) ?

Max Emanuel CENCIC : Avec les Wiener Sängerknaben, le souvenir des voyages ! C’est tout de même prodigieux pour un jeune garçon de voir autant de pays… ; nous sommes allés jusqu’en Indonésie. Mais aussi le répertoire. Les chœurs  de garçons chantent beaucoup de musique ancienne, Orlando di  Lassus, Jakobus Gallus, et notre principal répertoire est évidemment celui du baroque, Bach, Caldara, Haendel ; c’est dans leurs œuvres que j’ai pu chanter en soliste. Vienne oblige, les œuvres sacrées de Mozart et de Schubert étaient aussi notre lot quotidien, mais ils avaient sciemment composé en incluant les voix d’enfant dans leurs chœurs. Quant au lied final de la Quatrième Symphonie de Mahler, je l’ai enregistré alors que j’avais onze ans à Ljubjana où a toujours existé une tradition mahlérienne solidement ancrée.
 
Comment s’est déroulé l’évolution de votre voix après la mue, avez-vous su très vite que vous seriez contre-ténor ?

M.E. C. : En fait je n’ai jamais mué. J’ai arrêté de chanter à 19 ans et cela durant deux années. Puis j’ai décidé d’embrasser la carrière lyrique. Je ne suis pas ce que l’on appelle un contre-ténor,  ma voix est un alto-mezzo. J’ai toujours été très sensible à la beauté du timbre, à la puissance non forcée de la projection qui suppose que votre voix est naturellement placée. La question du répertoire ne s’est pas plus posée. La musique baroque avait été ma formation de fait et la masse de musiques en est tellement importante que je savais pouvoir y faire des découvertes quasiment à l’infini. C’est ce que je voulais, arpenter ce territoire si divers, car entre un madrigal de Monteverdi et le second théâtre vénitien, celui de Vivaldi, d’Albinoni, ou celui intermédiaire de Gasparini, il y a déjà tout un monde, et des styles très différents, comme entre Caldara et Hasse. Le baroque est un univers qui s’étend jusqu’au frontière du classicisme, prenez Gluck, et contient une diversité de styles incroyable. C’est probablement le champ musical le plus riche qui soit et qui reste encore à découvrir en grande part.

Etes-vous sensible, comme tant de vos collègues, à l’apport de Cecilia Bartoli ?

M.E. C. : Comment nier qu’elle est une source d’inspiration ? Depuis son album Vivaldi elle est devenue la reine de la musique baroque, elle est allée chercher des ensembles historiquement informés comme Il Giardino Armonico, et a fouillé les bibliothèques pour remettre sur le devant de la scène des musiques oubliées alors qu’elles sont géniales : voyez son album Steffani. Mais en dehors du répertoire elle est aussi un exemple pour tous les contre-ténors et altos de ma génération par la réflexion sur la technique vocale et le style.

Aujourd’hui vous proposez un plein disque consacré à Hasse. Comment vous est venue l’idée de cet album monographique ?

M.E. C. : Après mon album vénitien avec Il Pomo d’Oro et Riccardo Minasi (4) je voulais changer d’univers. J’ai cherché longtemps dans les bibliothèques en parcourant des œuvres de Wagenseil, de Galuppi, de Gluck. Rapidement Hasse s’est imposé, et surtout l’idée d’un disque qui lui soit entièrement consacré. Les personnages et les airs pour ma tessiture y abondent. Et je voyais là l’occasion de mettre en valeur un compositeur lyrique de première force, alors même que son œuvre n’a toujours pas fait l’objet d’une édition exhaustive comme ce fut le cas pour Bach ou Haendel. Depuis, ce récital est devenu le prélude à un enregistrement intégral pour Decca de son Siroe où entre autres Julia Lezhneva et Franco Fagioli me rejoindront. Le disque sortira en novembre prochain, alors que nous donnerons l’œuvre à l’Opéra Royal de Versailles avec George Petrou et son Armonia Atenea (5).
 
Justement, vous travaillez de plus en plus souvent  avec George Petrou qui a enregistré un cycle Haendel remarqué pour le label MDG…

M.E. C. : Oui, j’aime la profondeur du son de son orchestre, son sens du théâtre et de la poésie, je sens de nombreuses affinités électives entre nos arts, jusque dans la recherche d’un certain idéal sonore. C’est un chef extraordinaire, qui porte ses chanteurs. Mais je continue à travailler également avec Diego Fasolis avec lequel j’ai un projet que je préfère garder secret pour l’instant. Et j’enregistre également avec Il Pomo d’Oro et Riccardo Minasi  le Catone in Utica de Vinci. Logique, après le succès remporté par Artaserse qui s’est vendu à 25000 exemplaires.

Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 23 janvier 2014
 
(1) “Rokoko“ : Johann Adolf Hasse : 11 airs tirés de divers opéras, Concerto pour mandoline. Max Emmanuel Cencic, Theodoros Kitsos (mandoline), Armonia Atenea, George Petrou - 1 CD Decca 4786418
(2) Joseph Haydn : Die Schöpfung, Max Emmanuel Cencic (Gabriel), Solistes, Chorus Viennesis, Wiener Sängerknaben, Orchestre du Wiener Volksoper, Peter Marschik - 2 CD Capriccio 600652
(3) Gustav Mahler : Symphonie n°4, Max Emmanuel Cencic, Orchestre Symphonique de Ljubjana, dr.Anton Nanut - 1 CD Stardivari Classics SCD6050
(4) Venezia, Opera arias of the Serenissima ; airs de Vivaldi, Albinonio, Gasparini, Caldara, Ciacomelli, Porta, Sellitto,  Max Emmanuel Cencic, Il Pomo d’oro, Riccardo Minasi . 1 CD Virgin 46454522
(5) 25, 27, 28 & 30 novembre 2014, Opéra Royal de Versailles : www.concertclassic.com/concert/opera-siroe-de-hasse-avec-me-cencic 
 

Max Emanuel Cencic / Armonia Atenea, dir. George Petrou
Œuvres de Hasse
30 janvier – 20h
Metz – Arsenal
www.arsenal-metz.fr

Œuvres de Hasse, Jommelli, Galuppi et Gluck
1er février – 20h
Opéra de Monte-Carlo
www.opera.mc
 
Max Emanuel Cencic, Megumi Otsuka, piano
Œuvres de Rossini, Donizetti, Mozart, J. Strauss
10 février – 20h
Paris – Théâtre du Palais Royal
www.leslundismusicaux.com
 
Photo @ Laidig

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