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Une interview de Jodie Devos, soprano – « Offenbach me procure un plaisir intense »

 

 
Voix haut perchée et caractère bien trempé, Jodie Devos est une soprano aux multiples facettes qui aime autant le drame que la comédie. Adèle, Lakmé, Olympia, Ophélie ou Rosina, elle est à présent Gabrielle (1), trépidante meneuse de revue de La Vie parisienne d’Offenbach mise en scène par Christian Lacroix, une production du Palazzetto Bru Zane qui, après Rouen et Tours, s’installe au théâtre des Champs-Elysées pour seize dates du 22 décembre au 9 janvier. Entre deux répétitions, la jeune artiste a accepté de répondre à nos questions et de nous parler d’une carrière menée à bride abattue depuis sept ans, de son actualité et de ses nombreux projets.
 
Décidément Offenbach vous poursuit, puisqu’après votre album « Offenbach Colorature » vous étiez Olympia en 2020 à la Bastille et que l’on vous retrouvera dans quelques jours dans La Vie parisienne au théâtre des Champs-Elysées. Quel plaisir vous procure ce compositeur par rapport aux autres grands noms du répertoire français que vous avez servi, je pense à Saint-Saëns, Gounod ou Debussy ?

Sans hésitation, je vous répondrai un plaisir intense, car les grands rôles comme Lakmé ou Hamlet sont certes magnifiques mais avec Offenbach, nous sommes dans quelque chose de différent, car d’un point de vue technique nous n’utilisons pas la voix de la même façon. L’exigence est terrible chez cet auteur car, sous son écriture pétillante, il faut apporter un soin extrême au texte autant qu’à la musique et mettre les deux ensemble constitue un défi. Mais lorsque l’on parvient à cette fusion le bonheur que procure ce compositeur est incroyable, on ne peut pas s’empêcher d’avoir le sourire et cela créée une émulation entre les chanteurs au point que l’on a l’impression de ne plus travailler.
Chanter Offenbach est pour moi synonyme de fête, sans doute parce que j’ai plus de liberté notamment dans le chant pur, je me sens prête à improviser, à faire des sons « impropres », ce qui serait impensable chez Mozart par exemple, ou même chez Delibes. On est tellement proche de la comédie et du théâtre chez Offenbach que l’on ne craint pas de faire quelques pas de côté, sans doute également en raison des dialogues parlés qui nous demandent de travailler d’autres régions vocales et nous sortent de notre zone habituelle. Cette partie demande parfois autant d’investissement qu’une vocalise difficile, ce qui montre bien que l’on ne peut pas se lancer comme ça dans un texte parlé. Pour y parvenir je remonte ma voix parlée dans une voix de tête pour obtenir plus de projection, ce que font les comédiens et qui ne nous est pas toujours enseigné dans les conservatoires, alors que la déclamation devrait nous être apprise : c’est pour cela qu’il faut savoir être indulgent avec nous …
 

La version qui sera présentée au TCE et qui partira en tournée par la suite, est celle, inédite, de 1866, jouée dans son intégralité pour la première fois. Pouvez-vous nous révéler quelques secrets rendus possibles par les recherches menées par les musicologues du Palazzetto Bru Zane et ce qu’il en va du rôle de Gabrielle que vous interprétez ? 

Vous savez qu’il s’agit pour moi d’une prise de rôle et je dois vous avouer qu’avant de me pencher sur cette partition, je ne connaissais que « La veuve du colonel » et donc cette nouvelle version est mon unique et première. Je peux vous dire qu’au milieu du IIIème acte est insérée une chanson de café-concert dite « de la Balayeuse », inédite, où l’on tombe dans l’absurdité totale très en vogue à l’époque, et que le public pourra découvrir plusieurs ensembles absolument géniaux, où l’on comprend pourquoi les acteurs qui devaient les chanter n’en avaient pas les moyens.
Offenbach a rêvé d’une version idéale que la troupe de comédiens dont il disposait n’a pas pu réaliser, ce qui l’a contraint à opérer de nombreuses modifications et à remanier son œuvre jusqu’à la première. Il s’agira donc bien d’une version inédite car on a retrouvé des morceaux non joués et réunis des chanteurs qui peuvent les chanter. 
 

Lors des représentations à l'Opéra de Tours © Marie Pétry

Votre voix de soprano léger, colorature et votre tempérament, vous ont permis jusqu’à maintenant d’aborder de nombreux rôles comiques. Votre participation au concert de Liège en 2021 qui comportait de larges extraits d’Hamlet a cependant montré que le drame ne vous était pas étranger : avez-vous déjà établi la liste des héroïnes plus graves que vous souhaiteriez défendre ?

Oui évidemment, nous le faisons toutes (rires) ; Lakmé et Ophélie vont revenir bientôt et j’en suis ravie car la pandémie m’en avait empêché et parmi les rôles tragiques que j’espère pouvoir aborder il y a Lucia, un rôle que je rêve de chanter : mais je dois être patiente. Plus loin mon Everest serait de mettre à mon répertoire Manon et Traviata, mais nous sommes tributaires de notre instrument qui évolue sans cesse et sur lequel nous devons veiller. Il est indispensable que ma voix passe l’orchestre, ait suffisamment de longueur et un medium assez large. Je sais, en toute humilité, que si je suis prudente et attentive j’y arriverai. Mais si, dans cinq ou six ans, je constate que celle-ci n’a pas gagné en largeur, je renoncerai à Traviata et à Manon et je me contenterai de quelques personnages de Rossini et Donizetti qui me vont. Je vais tout de même aborder cette saison Gilda, à Liège, dans une salle qui m’est chère et qui est adaptée à mes moyens actuels. J’ai 33 ans et ai refusé de me confronter à ce rôle dans un opéra aussi vaste que le Liceu de Barcelone ; il ne faut pas être kamikaze, mais lucide par rapport à ses capacités. Par ailleurs je suis bien entourée par des gens bienveillants qui sauront me conseiller.
 

Lors des représentations à l'Opéra de Tours © Marie Pétry

Vous avez récemment déclaré à un confère  « qu’après sept ans de carrière vous vous sentiez comme une débutante » et pourtant les concerts, les récitals, l’opéra et la quantité de projets comme cette création mondiale de Boesmans (adaptée de On purge bébé de Feydeau) prévue l’an prochain à Bruxelles, ou encore un album en hommage à la soprano Marie Cabel (1827-1885), à paraître chez Alpha, prouvent au contraire que votre carrière est bel et bien lancée. Comment avez-vous découvert cette artiste belge oubliée et sélectionné le programme dirigé par Pierre Bleuse ?

Pour le coup c’est ma découverte et j’en suis contente. Nous cherchions avec Alexandre Dratwicki des idées pour un second disque avec orchestre et je voulais partir à la découverte d’un répertoire français rarement donné, parce que j’aime entendre une partition qui n’a pas été jouée depuis très longtemps, cela me procure beaucoup de plaisir. J’ai découvert Marie Cabel en cherchant les créatrices des rôles que j’interprète et elle est devenue le fil rouge de ce projet. Cette liégeoise mariée à Namur, où j’ai vécu, a été Philine, Dinorah et Manon Lescaut d’Auber et a fait une belle carrière à l’Opéra-Comique après un passage à la Monnaie. Malheureusement, en raison des "embouteillages" liés au covid, la sortie de ce disque est reportée à l’automne 2022.  Mais j’ai également enregistré un Stabat Mater de Pergolesi assez inédit, puisqu’Adèle Charvet et moi-même sommes accompagnées par la Maîtrise de Radio France et le Concert de la Loge dirigé par Julien Chauvin. (2) Nous le donnerons en concert au théâtre des Champs-Elysées (le 25 janvier), parallèlement à la sortie du CD. J’ai aussi participé au projet de Kazy Lambist, jeune chanteur de la scène électro qui a eu envie de faire un disque avec des titres issus de ses précédents albums en leur donnant une version classique. Je chante ainsi le titre « Annecy » avec un quatuor à cordes dans un adaptation du compositeur Othman Louati : je suis très heureuse du résultat. Ceux qui me connaissent savent que j’ai une affection particulière pour la pop, c’était donc une très belle expérience pour moi. Il y aura également une sortie en avril avec le Quatuor Voce, on y trouvera un arrangement des Proses lyriques de Debussy.  
 
Propos recueillis par François Lesueur le 27 novembre 2021
 

(1) En alternance avec Florie Valiquette

(2) Pour en savoir plus sur les projets du Concert de la Loge : www.concertclassic.com/article/julien-chauvin-et-le-concert-de-la-loge-en-concert-au-louvre-ca-repart-avec-mozart
 
Offenbach : La Vie parisienne (version originelle de 1866)
21, 22, 23, 26, 27, 28, 29, 31 décembre 2021 ; 2, 4, 6, 7, 8 et 9 janvier 2022
Paris - Théâtre des Champs-Elysées
www.theatrechampselysees.fr/saison/opera-mis-en-scene/la-vie-parisienne

Photo © Dominique Gaul

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