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Une interview de Jan Talich, 1er violon du Talich Quartet – Au cœur d’un héritage

 

Ce prestigieux quatuor, l’un des plus marquants d’Europe centrale, ouvre la saison des Bouffes du Nord le 10 octobre, en reprenant le jubilatoire appel à la vie juste sorti chez la Dolce Volta ; un enregistrement consacré au père spirituel de tout musicien tchèque, Antonín Dvořák, « avec des sonorités », s’enthousiasme Michael Adda, directeur du label, « qui ne ressemblent à aucune autre ». Au programme de l’album, le Quatuor « Américain », les 8 Valses op. 54 et le Mouvement en fa majeur  B120 (1) ; un flot de mélodies rieuses ou nostalgiques.
Bande de joyeux lurons, les Talich sont animés par une folle envie de célébrer par leur jeu les beautés de leur patrie, tout en continuant chacun des carrières prestigieuses de solistes. La bière mousse, les rires fusent tandis qu’ils font partager les couleurs, les humeurs et la gastronomie locales, digne d’un bouchon lyonnais. Ils sont au cœur d’un héritage, d’un monde forgé par une forte culture, dont ils transmettent une identité que l’occupation soviétique n’a pu écraser. Certes, nos quatre virtuoses endiablés ne sont pas les mêmes lorsqu’ils jouent des musiciens plus austères, ou plus déchirés. Mais avec ce programme limpide comme une cascade, ils apportent fraîcheur, lumière, lyrisme, oxygène… Jan Talich (photo), leur 1er violon à la sonorité somptueuse, donne quelques clefs de cette aventure
 

(de g. à dr) Jan Talich, Michal Kaňka, Radim Sedmidubsky & Roman Patočka © Radel Kalhous

 

« Le quatuor est l’expérience la plus complexe de l’univers musical et sa forme la plus pure. »
 
 
D’où vient votre formation, célèbre depuis longtemps, et en perpétuelle évolution quant à ses membres ?
 
C’est mon père Jan, neveu du grand chef d’orchestre Václav Talich, qui la créa en 1964. Il en était le premier violon. Plus tard, il me demanda de jouer dans la formation et ce fut pour moi une décision compliquée, à une époque où je faisais déjà mille choses, jouant dans un trio, dirigeant un orchestre de chambre. Ce fut un choix difficile car la pratique du quatuor est très prenante et qu’il est très long et compliqué de trouver une voix commune, pour donner une identité à l’ensemble. Les membres certes, ont changé, mais aujourd’hui, nous avons l’expérience d’une ligne musicale qui nous caractérise et nous unit. Incontestablement, pour moi qui pratique nombre de musiques, le quatuor est l’expérience la plus complexe de l’univers musical et sa forme la plus pure. L’alliance des quatre voix est la perfection. D’ailleurs, chaque fois qu’un compositeur a entrepris d’écrire un quatuor, cela a été pour lui une entreprise majeure.
 
Comment pouvez définir votre style ?
 
J’ai du mal à le définir mais je peux au moins dire que nous n’aimons pas les attaques tranchées, ni appuyer trop fort sur l’archet, notamment pour la musique romantique, que Dvořák incarne idéalement. Mais bien sûr, cela dépend des répertoires, notamment pour Chostakovitch (dont les Talich joueront le Quatuor n°2 op.68 aux Bouffes du Nord ndlr) où l’attaque doit être plus offensive. Il faut s’adapter à chaque compositeur. Je pense cependant que le plus difficile à cerner est Schubert, avec sa densité sans fioritures, sa retenue, son climat si spécial. Il est un pont entre classiques et romantiques. En outre, les styles ont changé avec les temps : autrefois, on pouvait reconnaître la marque des anciens quatuors quelle que fût la musique concernée. L’enregistrement que mon père a réalisé de Janáček est superbe mais aujourd’hui cela serait impossible. Désormais, l’approche varie, elle est plus mobile. En outre, elle change avec l’âge et le lieu. Nous devons trouver des couleurs différentes suivant la salle où nous jouons. 
 
 
© Radek Kalhous
 
« Vous pouvez mieux ressentir l’esprit de la musique de Dvořák quand vous avez grandi au contact de ce patrimoine folklorique. »
 
 
Avez-vous des salles préférées ?
 
Il y en a de magnifiques au Japon, aux Etats Unis, à Montréal et à Prague bien sûr,  mais il est évident que pour le quatuor, nous préférons des espaces plus intimes. A Paris, j’aime particulièrement l’acoustique et l’ambiance des Bouffes du Nord. Mais le fait de jouer devant un public n’a rien à voir avec ce que nous faisons entre nous. A l’époque de Dvořák, les choses étaient beaucoup plus libres, les musiciens jouaient n’importe où, dans des villages autant que dans des salles officielles, et souvent dans des lieux improbables. Aujourd’hui, les conditions sont bien plus contraignantes. Mais, pour rester avec Dvořák, je dirais, sans vouloir être arrogant, que cela aide d’être tchèque pour le jouer, car sa substance est totalement liée au pays, comme Bartók pour la Hongrie. Vous pouvez mieux ressentir l’esprit de sa musique quand vous avez grandi au contact de ce patrimoine folklorique, et que chaque mélodie coule en vous comme un souvenir. Même dans le Quatuor « Américain », marqué notamment par les influences indiennes, sa musique reste tchèque. Et son romantisme est très différent de celui de Brahms, auquel on le compare trop souvent.
 

 
Avez-vous joué tous ses quatuors ?
 
Sûrement pas, car les premiers sont très longs, autour d’une heure, et le compositeur n’avait pas encore la maîtrise de son langage. Cela ne passerait pas au concert, même si on y trouve beaucoup d’éléments intéressants. Pour ce CD, nous continuons l’aventure commencée avec Calliope, dont la Dolce Volta a repris le fonds, et c’est pour nous un bonheur de travailler avec Michaël Adda, que nous connaissons depuis longtemps, car il connaît à fond les subtilités musicales, les traditions du quatuor et les particularités de notre travail. Par ailleurs, notre répertoire est très varié, ainsi nous allons jouer dans nos prochains concerts un quatuor de Fanny Mendelssohn, ainsi qu’une pièce de Dora Pejačević (1885-1923), compositrice post-romantique croate très intéressante. Et nous continuons à faire tous les quatre toutes sortes de choses, de l’ordre du concert soliste, de l’enseignement, et de la direction d’orchestre pour ma part.
 
Auriez-vous un mot pour définir chacun des membres de votre fine équipe ?
 
Roman, le second violon, est comme notre enfant, Radim, l’altiste, est notre professeur, sans doute à la suite de sa formation très sérieuse à Weimar (rires) et Michal, notre sublime violoncelliste (remplacé aux Bouffes du Nord par Petr Prause pour cause de petite intervention à la main ndlr), est le grand romantique du groupe. Quant à moi, je fais ce que je peux pour orchestrer tout cela …
 

© Antonin Kratochvíl

Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux à Prague,  le 11 septembre 2022
 

(1) 1 CD La Dolce Volta / LDV 101 (enrg. Mars 2022). Les Valses op. 54, originellement destinées au piano, ont été arrangées pour quatuor par Dvořák pour les nos 1 et 2 et par l’altiste Jiří Kabát (né en 1984) pour les suivantes.
 

Quatuor Talich

Œuvres de Dvořák (Quatuor « Américain ») et Chostakovitch (2e Quatuor)
10 octobre 2022 – 20h
Paris – Théâtre des Bouffes du Nord
www.bouffesdunord.com/fr/la-saison/quatuor-talich
 
 
Photo © Antonin Kratochvíl

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