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Une interview de Gaël Darchen, directeur de la Maîtrise des Hauts de Seine – « S’il n’y a pas de plaisir, il n’y a pas de résultat »

Partagée entre les chœurs d’enfants et Unikanti (le chœur des « grands »), la Maîtrise de Hauts-de-Seine est la plus grande formation du genre en France avec un total de 650 choristes, de 6 à 30 ans. Depuis 1995, elle est le chœur d’enfants officiel de l’Opéra national de Paris et il y a deux décennies que Gaël Darchen (photo) assure la direction d’une structure désormais en résidence à la Seine Musicale. Rencontre avec un chef passionné par sa mission, qui s’apprête à diriger différents programmes de Noël, où – avis aux amateurs de raretés françaises – on trouvera entre autres la Messe brève de Léo Delibes
 
En 2019, vous fêterez vos vingt ans à la tête de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Que représente le passage de cap ?
Gaël DARCHEN : Quand on s’occupe d’enfants, le temps passe effectivement très vite. Je m’en rends compte aujourd’hui où je vois entrer dans la Maîtrise les enfants de mes premiers maîtrisiens. Mais on ne pense pas en termes de carrière quand on est chef de chœur d’enfants. On choisit ce métier parce qu’on aime les mômes, qu’on a une ambition éducative et qu’on est prêt à tout leur donner. Si vous avez une arrière-pensée carriériste, cela vous retombe toujours sur le nez.  
 
Gaël Darchen et la Maîtrise de Hauts-de-Seine © Maîtrise des Hauts-de-Seine

La Maîtrise compte 650 enfants et jeunes adultes. Sur quelles bases s’effectue le recrutement ?  
G.D. : Je prends d’abord des candidats motivés, parce que les enfants peuvent entrer dans la Maîtrise dès cinq ans et en sortir à trente ans. De plus, si une formation musicale construit un choriste, elle n’est qu’un aspect du chant. Il faut aussi que le chanteur éprouve du plaisir à chanter. Ma première démarche consiste donc à faire confiance aux enfants et à me baser sur tout ce qui est instinctif chez eux. Avec mon équipe de musiciens permanents et intermittents et avec le personnel de la production, nous travaillons main dans la main pour mettre les enfants dans des conditions qui leur permettent de s’épanouir dans le chant. Les enfants produisent un meilleur son choral quand ils sont naturels. De plus, notre partenariat avec l’Opéra de Paris fait que 80% de notre répertoire est lyrique. Nous devons donc faire en sorte que les enfants soient libres de leurs mouvements pour chanter lors des représentations à l’Opéra Garnier ou à Bastille.
 
Chanter sans partition ne leur pose-t-il pas un problème ?
G.D. : La capacité de mémorisation des enfants est telle qu’ils apprennent tout très vite et par cœur. Ils gravent ainsi dans le marbre autant les notes que les textes, compensant même leurs lacunes éventuelles en solfège. Ainsi, en 2010, pour les 25 ans de la Maîtrise, nous avons donné sans aucun problème un concert de deux heures en neuf langues différentes. Aujourd’hui, nous débutons l’apprentissage du Stabat Mater de Poulenc. Je suis sûr qu’en deux heures de travail, nous aurons abordé trois à quatre numéros et que, dans quatre mois, l’œuvre sera sur vitesse de croisière. Parallèlement, les enfants auront préparé pour l’Opéra de Paris les chants d’Il Primo Omicidio de Scarlatti, d’Otello de Verdi, de Carmen de Bizet et de Tosca . Les filles chanteront le Casse-Noisette de Tchaïkovski et les grands du chœur Unikanti les chœurs de La Chauve-Souris de Strauss. C’est pourquoi je ne me sers de la partition que pour donner aux enfants la posture du chanteur. Puis je les en libère en les poussant à utiliser leur capacité de mémorisation pour chanter par cœur.

Gaël Darchen en répétition © MGrinand
  
Combien d’heures les faites-vous répéter par semaine ?
G.D. : Les petits restent avec nous trois heures par semaine. Les grands du chœur Unikanti n’ont que sept heures par semaine pour apprendre la partition de La Chauve-Souris, plus la prononciation de la langue allemande, la qualité vocale et les éléments scéniques. Je précise que nous avons fait le choix de ne pas opter pour des classes à horaires aménagés mais de respecter le rythme d’une scolarité normale. Les enfants pratiquent le chant le mercredi après-midi et le week-end et ils obtiennent de bons résultats tant à la Maîtrise qu’à l’école. C’est parce qu’avec nous, ils apprennent aussi à travailler rapidement, avec anticipation et avec une exigence d’organisation et de qualité. Pour eux, le chant remplace certaines activités ludiques. C’est pourquoi j’insiste pour que le chant soit aussi une source de plaisir en réservant du temps au jeu et en permettant à tous les enfants de se produire avec orchestre sur la scène d’un opéra avant la fin de la saison. S’il n’y a pas de plaisir, il n’y a pas de résultat. Ils apprennent ainsi qu’il peut y avoir compatibilité entre plaisir et exigence.     
 
Depuis vingt ans que vous dirigez des enfants, avez-vous constaté une hausse du niveau des maîtrisiens ?
G.D. : Oui. Il se produit une amélioration globale du niveau de la Maîtrise par cycle de trois ans. Cela tient au fait que les enfants se forment entre eux, en se transmettant leurs qualités de façon transversale. Les plus petits apprennent des plus grands et ils travaillent mieux et plus vite. Ils emmagasinent ainsi du savoir qu’ils additionnent à leurs propres qualités. J’en suis heureux parce que j’ai ainsi le sentiment qu’en formant les enfants, je prépare aussi le public choral de demain, lequel sera capable de discernement musical. Je lutte ainsi à ma manière contre la musique pauvre et faussée par les technologies qu'on entend trop souvent aujourd’hui. En concert, la technologie peut tromper le public, mais en répétition, les enfants se rendent vite compte quand certains artistes sont d’un niveau inférieur au leur.   
 
Sur quoi basez-vous votre préparation du chœur ?
G.D. : Il est important de rester sur l’oralité et d’enrichir l’expression. C’est l’émotion qui saisit le public et gagne son adhésion. Il faut donc ne pas l’aseptiser, mais la transmettre à travers une seule pâte sonore que nous créons tous ensemble. C’est pourquoi j’insiste tant sur le chant par cœur afin que, libérés de la partition, les enfants soient avec moi pour transmettre cette émotion. J’habitue aussi le chœur à s’adapter à l’acoustique de la salle où il chante, mais aussi à la direction d’un autre chef, ce qui arrive régulièrement et à savoir changer le son qu’ils produisent. Et puis, je suis toujours à l’écoute de ce que ressentent les chanteurs pour qu’ils se sentent à l’aise pour chanter, qu’ils s’entendent les uns les autres et n’aient pas l’impression de chanter seuls. Heureusement, les constructeurs des nouvelles salles de concert prennent désormais en compte le confort de chanteurs.  

 

© Maîtrise des Hauts-de-Seine

Pour Noël, la Maîtrise prépare une série de concerts sur le thème des chants de Noël. N’est-ce pas un programme limité pour la Maîtrise ?
G.D. : J’ai toujours refusé le fait de faire chanter des chants de Noël à la Maîtrise parce que j’estime que cela enferme le chœur dans un genre. Du coup, je n’ai accepté que parce qu’on m’a permis de faire réécrire l’orchestration et les arrangements pour chœur par le compositeur Franck Villard. Dans la troisième partie du concert, le public retrouvera ainsi tous les airs sacrés et profanes qu’il connaît, mais dans une orchestration et un arrangement qui le surprendront par le coup de jeune et l’enrichissement des airs. Même les enfants sont impatients de donner ce concert chez eux, à la Seine Musicale. Auparavant, nous aurons débuté la soirée en chantant la Messe brève de Léo Delibes, un vrai petit bijou, puis l’Ave Maria de Caccini et des airs de Poulenc. Ce concert sera redonné au Théâtre de Longjumeau et puis en version courte d’une heure à la Sainte-Chapelle. Ce sera un moment de ravissement avec la présence des touristes et son acoustique superbe. La Maîtrise donnera aussi un concert à la Philharmonie avec le Chœur et l’Orchestre de l’Armée française. Là, le programme sera différent et la tonalité sera plutôt russe.  
 
La Maîtrise s’est-elle bien adaptée à ses nouveaux locaux de La Seine Musicale ?
G.D. : Nous sommes très heureux de travailler ici et nous remercions tous les jours la collectivité et son président de nous avoir donné des locaux qui sont à la dimension que nous souhaitions. L’acoustique de l’auditorium est superbe, de même que celle de la grande salle. Et il est très agréable de vivre avec différentes structures artistiques autour de soi. On rencontre forcément des artistes de genres différents. Cela donne de la créativité et offre des perspectives de conceptions nouvelles. 

Propos recueillis par Michel Grinand le 18 octobre 2018

Prochains concerts de La Maîtrise des Hauts-de-Seine
14 et 15 décembre 2018 (20h30 / 11h) - Philharmonie de Paris : Le Grand Concert de Noël de Radio Classique
philharmoniedeparis.fr/fr/agenda?date_filter%5Bvalue%5D%5Bdate%5D=14/12/2018&date_filter_1%5Bvalue%5D%5Bdate%5D=
20 décembre 2018 (20h30) Boulogne-Billancourt - La Seine Musicale : Concert de Noël - 180 enfants chantent Noël
www.laseinemusicale.com/spectacles-concerts/maitrise-des-hauts-de-seine_e372
22 décembre 2018 (20h) -  Longjumeau – Théâtre :  Concert de Noël
www.theatre-longjumeau.com/fr/concert-de-noeel.html?cmp_id=78&news_id=635&vID=83
23 décembre 2018 (18h00), La Sainte Chapelle à Paris : Concert de Noël
www.concertclassic.com/concert/voix-d-anges-angel-wings
Photo © DR
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