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Une interview de Céline Frisch et Pablo Valetti, fondateurs de l’ensemble Café Zimmermann – La musique baroque aujourd’hui : s’adapter pour exister

 
 
Fondé en 1999 par la claveciniste Céline Frisch et le violoniste Pablo Valetti (photo), l’ensemble baroque Café Zimmermann rassemble des instrumentistes de nationalités différentes majoritairement issus des classes de la Schola Cantorum de Bâle. Sur ses terres de résidence à Aix-en-Provence, en compagnie d’Alexander Melnikov, il a présenté le 19 janvier au Grand Théâtre de Provence un nouveau programme autour d’œuvres de Carl Philip Emmanuel Bach et de Mozart avant de partir l’enregistrer, pour le label Alpha, à Saint-Trond, en Belgique. L’occasion de rencontrer les cofondateurs de Café Zimmermann.
 
Après quelque 25 années d’existence, le cœur de Café Zimmermann bat toujours fort ; où puise-t-il son énergie ?
 
Pablo VALETTI : Dans la stimulation qui naît lorsqu’il s’agit d’entamer le travail sur un nouveau programme ; dans cette excitation de travailler ensemble, de construire un ouvrage commun avec l’apport artistique de chacun. Nous avons tous une relation très vive avec la musique ; aucun de nous ne s’est lassé, bureaucratisé ou embourgeoisé. Nous continuons nos recherches, poursuivons nos lectures pour entretenir la qualité de cette relation ! Nous nous rendons compte, aujourd’hui, que notre façon d’aborder des œuvres sur lesquelles nous avons travaillé il y a dix ou vingt ans en arrière a évolué, s’est enrichie au long du chemin parcouru. Puis il y a les rencontres avec les solistes, comme Alexander Melnikov actuellement. Des rencontres qui apportent beaucoup à chacun d’entre nous et qui donnent à chaque collaboration une dimension nouvelle
 
Vous dites que l’échange entre musiciens est capital. L’est-il toujours après une vingtaine d’années de vie commune et votre façon de travailler est-elle identique ?
 
Céline FRISCH : notre façon de travailler est différente car ce long compagnonnage musical nous a permis de forger un langage commun au fil des années et beaucoup de choses n’ont plus besoin d’être discutées. Cela dit, même si les propositions musicales passent plus par le jeu et nous parlons moins qu’autrefois, nous avons tout de même encore beaucoup d’échanges car personne ne possède la science infuse et nous pouvons tous passer à côté d’éléments intéressants ! De plus il y a une perception différente de la musique selon l’instrument joué et il est important de mettre en commun ces perceptions qui peuvent enrichir la lecture de la partition.
 
Le choix des programmes est-il collectif ou vient-il de vous deux  ?

P.V. : c’est plutôt notre choix ; mais il se nourrit des échanges avec les membres de l’ensemble.
 
C.F. : Le programme du « Cahier Imaginaires de J.S. Bach », par exemple, a été pensé et proposé par notre fûtiste Karel Valter.
 
P.V. : Il est vrai aussi qu’il y a des musiciens plus curieux que d’autres. Mais les décisions finales, nous les prenons à deux : il peut y avoir trop de bonnes idées et comme on ne peut pas les réaliser toutes, il faut choisir en tenant compte de différents paramètres.
 
Quels sont-ils ?

 
C.F. : D’abord l’impératif mettre en place une saison équilibrée en ce qui concerne les programmes et la distribution. Puis il y a les besoins et envies des programmateurs avec lesquels nous construisons notre programmation.

Quel est, aujourd’hui, le regard que vous portez sur la musique baroque ?
 
C.F. : Café Zimmermann est arrivé alors que les pionniers du genre musical avaient déjà accompli un travail remarquable ; le paysage baroque était déjà développé et cette musique avait trouvé reconnaissance et consécration en entrant à l’opéra. Cependant, depuis vingt ans, la pression économique s’est considérablement accrue et les programmateurs sont désormais plus contraints par la nécessité de remplir les salles, ce qui a réduit leur prise de risque.
Par rapport à nos débuts, nous avons de façon générale le sentiment d’une moins grande ouverture ou curiosité vis-à-vis de la découverte de nouveaux répertoires. Les deux univers musique classique et musique baroque se sont retrouvés ou plutôt fondus dans un marché de la musique classique ce qui nous a un peu fait perdre le côté expérimental qui était celui de l’univers baroque.
 
P.V. : Dès que la musique baroque est entrée dans les grandes salles, elle est aussi rentrée dans une autre économie. Cela induit une autre façon de travailler, plus influencée par les contraintes du "marché de la culture" - un bel oxymore. 
 

Alexandre Melnikov, Céline Frisch & Pablo Valetti pendant les répétitions aixoises © Michel Egéa
 
Quelles sont les conséquences de cette réalité ?
 
P.V. : L'intérêt pour les différents répertoires s’est beaucoup réduit et la prise de risques est minimale. Il est difficile de faire émerger et découvrir la musique de ceux qu'on peut appeler les compositeurs de deuxième ligne, ceux qui ont enrichi la composition par leur travail. Connaître cette musique, aide pourtant à comprendre le génie des compositeurs de premier rang. On apprécie mieux Mozart en s'intéressant à ses contemporains. Mais les découvertes sur la musique baroque sont loin d’être finies. Par exemple, l’enseignement de l’improvisation, centrale dans la musique baroque, s’est énormément développé depuis que nous avons fait nos études. Improvisation des ornementations, partimento, contrapunto alla mente, qui font partie de la formation des musiciens baroques aujourd’hui, étaient moins connus lors de la renaissance du genre. Le renouvellement théorique et pratique est toujours très vivant.
 
Le nouvel enregistrement que vous vous apprêtez à réaliser sera votre 20ème CD, qui sera publié par le label Alpha. Qu’est-ce qui a motivé sa naissance ?
 
C.F. : Nous avons déjà abordé plusieurs fois des œuvres de Carl Philip Emmanuel Bach au long de notre parcours et nous avions envie, collectivement de travailler à nouveau sur ce compositeur. La possibilité de collaborer avec Alexander Melnikov s’offrant à nous, le choix du Concerto pour clavecin et pianoforte s’est imposé.
 
P.V. : Il y a des choix musicaux qui se justifient d’eux-mêmes. Tout musicien travaille pour vivre l'expérience de rencontrer d'autres musiciens et des compositeurs comme Mozart et CPE Bach. Et mettre en perspective les compositions d’un Bach qui termine sa vie et d’un Mozart trentenaire est tout à fait intéressant. Le plus âgé propose une partition pleine d’humour, de folie et de modernité et le plus jeune une composition plus classique mais génialement construite.
 
Découvert avec intérêt au Grand Théâtre d’Aix en Provence, ce programme sera repris à l’occasion de la sortie du CD dans quelques mois. En attendant, Café Zimmermann poursuit son aventure sur les chemins baroques entre la France, la Suisse, l’Allemagne et la Pologne sans oublier, en mars prochain, une nouvelle halte du côté d’Aix-en-Provence pour une programme de musique française (Leclair, Francœur, Balbastre, Guillemain, Rameau), le 13 mars (20h) à la Chapelle Notre-Dame de la Consolation.
 
Propos recueillis par Michel Egéa, le 18 janvier 2023 

 
Prochains concerts : le 31 janvier à Toulon (événement FEVIS ; « The imaginary music book of J.S. Bach. »), le 3 février à Rouziers-de-Touraine ( J.S.Bach et C.P.E. Bach), et le 12 mars à Castres (Leclair et Francœur).
 
Photo © Caroline Doutre 

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